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David Lynch | The Grandmother | 1970

The Grandmother

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Animation : David Lynch

Prise de vues : David Lynch

Genre : surréalisme, moyen métrage

Durée : 34 minutes


Distribution
Richard White : Garçon
Dorothy McGinnis : Grand-mère
Virginia Maitland : Mère
Robert Chadwick : Père






The Grandmother - David Lynch | (Trailer) | 1970

David Lynch | Eraserhead | 1977

Eraserhead

Titre français : Labyrinth man

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Décors : David Lynch

Photographie : Herbert Cardwell, Frederick Elmes

Montage : David Lynch

Musique : Peter Ivers, David Lynch

Effets spéciaux : David Lynch

Production : American Film Institute, David Lynch

Budget : 100 000 $ (estimation)

Langue : anglais

Genre : Fantastique, Horreur, Drame

Durée : 85 minutes

Format : Noir et Blanc - 35 mm - 1.85 :1 - Mono

Dates de tournage : du 29 mai 1972 à janvier 1975

Dates de sortie : États-Unis : 19 mars 1977 (Festival Filmex) ; France : 17 décembre 1980

Interdit aux moins de 16 ans


Distribution
Jack Nance : Henry Spencer
Charlotte Stewart : Mary
Allen Joseph : Bill, le père de Mary
Jeanne Bates : la mère de Mary
Judith Anna Roberts : la belle fille de l’autre côté du couloir
Jean Lange : la dame dans le radiateur
Laura Near : la grand-mère
V. Phipps-Wilson : la propriétaire





Eraserhead Trailer David Lynch




David Lynch | Symphony No. 1 : The Dream of the Broken Hearted | 1990

Symphony No. 1: The Dream of the Broken Hearted

Réalisateur : David Lynch

Producteurs : Angelo Badalamenti, David Lynch et John Wentworth

Producteurs exécutifs : Steve Golin, Monty Montgomery et Sigurjon Sighvatsson

Musique : Angelo Badalamenti et David Lynch

Montage : Bob Jenkis

Format : 1.33:1

Pays d'origine : États-Unis

Durée : 50 minutes


Distribution
Laura Dern : femme au cœur brisé
Nicolas Cage : Briseur de cœur
Julee Cruise
Lisa Giobbi : Danseuse
Félix Blaska : Danseur



Symphony No. 1: The Dream of the Broken Hearted (1990) David Lynch

David Lynch | Rabbits | 2002

Rabbits

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Musique : Angelo Badalamenti

Format : couleur - 1,78:1

Langue : anglais

Pays d'origine : États-Unis

Année de production : 2002

Genre : Drame, épouvante-horreur, Fantastique

Durée : 50 minutes


Distribution :
Jack : Scott Coffey
Jane : Rebekah Del Rio
Jane : Laura Elena Harring
Suzie : Naomi Watts



Rabbits (2002) David Lynch

Johnny Got His Gun | Dalton Trumbo | 1971


Johnny Got His Gun - Johnny s'en va-t-en guerre
(Etats-Unis, 1971, 111 min).

RÉALISATION, SCÉNARIO
Dalton Trumbo, d'après son roman publié en 1939.

PHOTOGRAPHIE
Jules Brenner.

DÉCORS
Harold Michelson.

MONTAGE
Millie Moore.

PRODUCTION
Bruce Campbell, Tony Monaco et Christopher Trumbo.

INTERPRÈTES
Timothy Bottoms, Kathy Fields, Marsha Hunt, Jason Robards, Donald Sutherland.


Un hymne pacifiste

Pour écrire son livre, dont il a tiré le film, Trumbo s'est inspiré de souvenirs personnels et d'articles de presse. RUE DES ARCHIVES

Jean de Baroncelli, Article paru dans l'édition « Le Monde » du 18 mai 1971

De la souffrance morale d'un jeune soldat isolé dans son corps après avoir été déchiqueté par un obus, le réalisateur tire une oeuvre onirique et émouvante. Son réquisitoire ne perd jamais de sa force.

Dalton Trumbo a 65 ans. Romancier, scénariste, auteur dramatique, il n'avait jamais fait de mise en scène de cinéma. En 1964, Luis Buñuel fut tenté de porter à l'écran Johnny Got His Gun et Trumbo travailla avec lui au scénario. Mais le producteur fit faillite. Quelques années plus tard, Trumbo reprenait le projet, et malgré le refus des "major companies" hollywoodiennes de s'intéresser à l'affaire, décidait de tourner lui-même le film.

L'histoire de Johnny Got His Gun est atroce. Pendant la première guerre mondiale, un jeune soldat américain est déchiqueté par un obus. Il n'a plus ni bras ni jambes, son visage est en bouillie. Il est aveugle et sourd. Mais son coeur bat encore. Le médecin qui le soigne (à titre expérimental) est persuadé que le cerveau est atteint.

En réalité, Johnny est parfaitement conscient. Sa mémoire fonctionne et le toucher lui permet de communiquer avec le monde extérieur. Bref, il sait ce qu'il est devenu. S'il ne souffre pas physiquement, sa souffrance morale est intolérable et, du fond de son gouffre, il hurle au secours, sans qu'on veuille l'entendre.

L'adaptation d'un tel sujet présentait de sérieuses difficultés, que Dalton Trumbo n'a pas toujours réussi à vaincre. L'essentiel du récit est, en effet, constitué par le long monologue intérieur de Johnny. Une voix qui était la sienne nous fait continuellement plonger dans son passé et dans ses rêves. Souvenirs et phantasmes oniriques que le réalisateur traduit en images souvent pesantes et maladroites. La force et l'expérience d'un Bergman ou d'un Buñuel manquent à cette partie du film.

En revanche, toutes les scènes (en noir et blanc) qui se déroulent au chevet du malade expriment parfaitement l'horreur de la situation. Et quand intervient une jeune infirmière qu'une immense pitié attache à Johnny et que, grâce à elle, celui-ci peut exprimer son désespoir, nous vivons des moments de réelle émotion. Une fois de plus, la guerre est clouée au pilori par une oeuvre implacable. Le film a des défauts, la violence du réquisitoire nous aide à les oublier.



Dalton Trumbo

Propos recueillis par Louis Marcorelles " Le Monde " du 2 mars 1972

J'avais écrit mon livre à la fois à partir d'expériences personnelles : mes souvenirs d'adolescence, et des articles de journaux consacrés aux victimes de la première guerre mondiale. J'étais trop jeune pour l'avoir vécue personnellement, mais je me rappelais l'excitation qu'elle avait suscitée. Plus tard, avant de rédiger le roman, j'ai lu deux comptes rendus - dans des journaux canadiens - qui m'ont beaucoup impressionnés. Ils racontaient, entre autres, la visite du roi d'Angleterre à un mutilé de guerre complètement paralysé... Il avait communiqué avec lui en l'embrassant sur la poitrine.

Le livre est né dans la ferveur. Je l'ai dicté à ma secrétaire dans un sorte d'improvisation. Je ne pensais nullement en tirer un jour un film. Puis, en 1964, j'ai rencontré le producteur de Luis Buñuel, Gustavo Alatriste (...). Alatriste me dit que Buñuel mettrait en scène le film si j'en écrivais l'adaptation, et je suis parti pour Mexico retrouver Luis, que je connaissais depuis plus de dix ans. (...) Huit mois plus tard, j'avais terminé mon adaptation et je l'ai envoyée.

Mais Gustavo Alatriste n'avait plus d'argent et le script m'est revenu. (...)
Le film achevé, je l'ai projeté à Luis, un peu comme un chien rapporte un os à son maître. Luis l'adora, particulièrement la scène où l'infirmière essaie d'étrangler Johnny et échoue. Je lui ai dit : c'est votre scène !

Effectivement, il me l'avait suggérée, c'était consigné dans le livre, de sa propre écriture. Luis, c'est un tout. Il avait conçu la scène, l'avait totalement oubliée, puis, la voyant à l'écran, l'adorait autant que lorsqu'il l'avait lui-même inventée.

L'expérience du tournage a été pour moi assez unique. J'ai découvert le pouvoir, un extraordinaire sentiment de puissance en tant que metteur en scène. Mon principal travail avec les acteurs a consisté à les entourer d'affection.

Timothy Bottoms, qui joue Johnny, avait 19 ans, il n'avait jamais paru devant une caméra, avec lui j'étais un peu comme un grand-père. Il est assez typique de la jeunesse des années 1970, hypersensible, très subjectif, un peu éloigné de la réalité. (...)

Le vieil Hollywood est mort, et pas seulement à cause de la liste noire dont j'ai été une des victimes. L'Amérique a terriblement changé après la guerre, ce n'est plus le même pays. "




Trumbo, du scénariste star au paria de la "liste noire"

Antoine Thirion "Cahiers du cinéma"

James Dalton Trumbo publie Johnny Got His Gun l'année où Hitler envahit la Pologne. A 34 ans, c'est l'un des scénaristes les mieux payés d'Hollywood. Né dans une famille pauvre du Colorado, il dut longtemps se résigner à mettre de côté sa vocation pour l'écriture, la mort de son père, en 1934, l'obligeant à travailler dans une boulangerie afin de subvenir aux besoins de sa mère et de ses soeurs.

Il parvint néanmoins à publier des nouvelles dans plusieurs revues prestigieuses, dont Vanity Fair et Vogue, jusqu'à la parution de son premier roman en 1934 (Eclipse). La même année, la Warner Bros l'engage comme lecteur, puis scénariste pour des séries B. Au moment de rejoindre la MGM en 1937, il a déjà travaillé dans tous les plus grands studios hollywoodiens : Columbia, Paramount, 20th Century Fox, RKO.

S'il n'adhère officiellement au Parti communiste américain qu'en 1943, il en était déjà bien avant un célèbre sympathisant. Le message de Johnny s'en va-t-en guerre correspond à l'époque à la ligne du parti, résolument pacifiste et critique envers Roosevelt et l'engagement militaire américain. Le parti accueille d'ailleurs le roman avec enthousiasme et l'érige en modèle de l'isolationnisme qu'il prône. Une diffusion radiophonique le popularise encore davantage, notamment grâce à James Cagney, qui prête sa voix au héros mutilé.

L'attitude du Parti communiste américain tenait en grande partie au pacte de non-agression passé par Hitler et Staline. Lorsque l'Allemagne envahit l'URSS, le parti change de position et soutient celle de Roosevelt. Trumbo ordonne alors à son éditeur de retirer son livre du marché populaire chez les pacifistes, les isolationnistes et les fascistes.

En 1944, il va jusqu'à montrer au FBI des lettres lui réclamant des copies du livre épuisé, se conformant à l'ordre du parti de dénoncer toute attitude antipatriotique.


1971.

Cela fait bientôt douze ans que le nom de Dalton Trumbo a ressurgi sur les écrans, à l'occasion d'Exodus (1959), en partie grâce à l'insistance du cinéaste Otto Preminger. La liste noire est enterrée ; les " dix de Hollywood " dont Trumbo faisait partie, et qui avaient été condamnés pour avoir refusé de répondre aux
questions de la commission des activités antiaméricaines (Trumbo fit dix mois de prison ferme), peuvent enfin officiellement reprendre le travail.

" Officiellement ", car Trumbo, comme d'autres, n'a pas cessé de travailler sous des noms d'emprunt. Exilé à Mexico puis en Europe, il a notamment écrit le scénario des magnifiques Gun Crazy de Joseph H. Lewis - sous le pseudonyme de Millard Kaufman, l'histoire d'une cavale amoureuse à laquelle Bonnie & Clyde empruntera beaucoup, Le Rôdeur de Joseph Losey, et Vacances romaines (Billy Wilder, 1953).

Ses alias ont même reçu à plusieurs occasions des Oscars, dont Robert Rich pour Les clameurs se sont tues (Irving Rapper, 1956), rendu à son auteur en 1975, de même qu'une statuette posthume en 1993 pour Vacances romaines.

Cinq ans avant de mourir d'une crise cardiaque consécutive à un cancer du poumon, Trumbo tourne l'adaptation de son fameux roman de 1939, lequel entre alors en résonance avec le désastre du Vietnam.

Johnny s'en va-t-en guerre demeure son seul film en tant que réalisateur - tâche qu'il n'a au fond jamais réellement souhaitée, convaincu au contraire que le véritable auteur d'un film est son scénariste.


Johnny Got His Gun - Johnny s'en va-t-en guerre (1971) Dalton Trumbo

Le Cuirassé Potemkine | Sergeï Mikhaïlovitch Eisenstein | 1925




LE CUIRASSÉ POTEMKINE (Bronienocets Potiomkine, Battleship Potempkin, URSS, 1925, muet, 70 min).

RÉALISATION : Сергей Михайлович | Sergeï Mikhaïlovitch Eisenstein.

SCÉNARIO : S. M. Eisenstein, Nina Agadzhanova.

PHOTOGRAPHIE : Vladimir Popov, Edouard Tissé.

MONTAGE : S. M. Eisenstein.

PRODUCTION : Goskino/Mosfilm, Jacob Bliokh.

INTERPRÈTES : Alexandre Antonov, Vladimir Barski, Grigori Alexandrov, Beatrice Vitoldi.







La puissance contestataire

Jean-Michel Frodon. Article paru dans l'édition « Le Monde » du 23.01.2005



Il en sera arrivé des avanies, à ce navire de guerre baptisé du nom d'un ministre qui n'a pas laissé un souvenir heureux dans l'histoire. Combats, mauvais traitements et mutinerie à bord, censure et interdiction du film...

La plus grave, paradoxalement, parmi ces avanies est sans doute la plus récente : la gloire, l'inscription au patrimoine de la cinéphilie mondiale l'auront recouvert d'une épaisse couche de rouille honorifique, qui menace d'envoyer par le fond de la ringardise un chef-d'oeuvre vivant, compliqué, inventif et émouvant.

Il faudrait ne rien savoir du film, n'avoir pas entendu la chanson de Ferrat, oublier les images trop célèbres, la poussette, les bottes des soldats sur les marches d'Odessa, le corps du marin Vakoulin-tchouk au bout de la jetée, le lion de pierre qui se dresse et rugit...

Il faudrait juste s'asseoir dans la pénombre et regarder, entrer dans le rythme, les associations, le jeu des grosseurs de cadre et des durées de plan, les élans du graphisme des intertitres en contrepoint de celui des corps individuels et des groupes structurés par leur dynamique plutôt que par leur forme. Ça bouge tout le temps, ça rigole en coin, s'enthousiasme et s'émeut de l'oppression, de la révolte, de la solidarité.

Sergueï Mikhaïlovich Eisenstein n'était en rien un peintre d'icônes, il était un compositeur et un chorégraphe. Ses films, celui-là exemplairement, sont farandole, danse macabre, valse somptueuse et bamboula d'enfer. Les images et les idées, les blancs et les noirs, les formes et les symboles sont ses notes et ses danseurs, il les arpège et les emballe. S. M. Eisenstein croyait, comme cinéaste, à la révolution, il fit un film qui était révolutionnaire d'abord par l'énergie qu'il entendait transmettre à qui le regarderait.

Réalisé pour le vingtième anniversaire de la Révolution de 1905, « répétition générale » de celle de 1917, le film n'est certes pas une reconstitution historique fidèle. Semblant inventer sans cesse, séquence après séquence, son récit et ses modes de narration, il est la manifestation peut-être la plus condensée et la plus percutante de cette double espérance que seraient à la fois la puissance contestataire du cinéma comme acte politique et la nature révolutionnaire de l'art cinématographique comme mise en crise féconde des arts existant auparavant.

Malgré les nombreuses divergences qui les opposaient, c'est ce que croyaient ensemble les grands cinéastes soviétiques de ces années-là, Eisenstein et Vertov, Poudovkine et Barnet, Dovjenko, Kozintsev et Medvedkine. C'est ce que n'ont cessé de retrouver, au fil des décennies et jusqu'à aujourd'hui, les cinéastes qui n'ont cessé depuis d'« inventer » le cinéma.

C'est ce qui rend passionnant l'accueil public d'un film qui rompait avec les recettes romanesques et théâtrales (celles du cinéma pompier, alors comme aujourd'hui), un film sans héros ni fil dramatique simple, et qui dans les seuls pays où il put sortir alors, URSS et Allemagne, obtint une énorme succès populaire.

Dans quelle mesure est-ce la raison de son interdiction en France en Grande- Bretagne, en Italie, au Japon, de son caviardage indécent aux Etats-Unis (alors qu'il était vu comme un chef-d'oeuvre stimulant par les patrons de studio et les réalisateurs de Hollywood, qui le copièrent beaucoup) ? Ce serait faire beaucoup d'honneur aux censeurs, mais ils ont dû se douter de quelque chose.



Genèse d'un chef-d'oeuvre

S. M. Eisenstein. Article paru dans l'édition "Le Monde" du 23.01.2005
Dans un article publié en 1945 (et traduit dans les Cahiers du cinéma en 1952), Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein parle de son film, « Le Cuirassé Potemkine », et de la révolution russe.

Pour faire un film sur un cuirassé, il faut... un cuirassé. Et pour retracer l'histoire d'un cuirassé de l'année 1905, il faut notamment que le cuirassé soit du type 1905. En vingt ans - nous étions alors dans l'été 1925 - les silhouettes des bateaux de guerre avaient changé du tout au tout.

Ni dans la baie de Louga, du golfe de Finlande - c'est-à-dire dans la flotte de la mer Baltique -, ni dans la flotte de la mer Noire il n'existait plus de cuirassé du type ancien. Voici un cuirassé qui danse gaiement sur les eaux de Sébastopol. Mais ce n'est pas du tout celui qu'il nous faut. Il n'a pas cette croupe large, si particulière, il lui manque le pont arrière, théâtre du célèbre drame que nous avons à reconstituer.

Quant au véritable Potemkine, il est mis à la ferraille depuis des années. Impossible même de retrouver la trace de l'histoire dont le tourbillon a dispersé et balayé la lourde cuirasse de tôle qui recouvrait autrefois les flancs robustes du bateau. Toutefois, les limiers de la recherche nous firent savoir que si le Prince-Potemkine-de-Tauride lui-même n'était plus, son ami et parent du même type, autrefois puissant et glorieux, le cuirassé Douze-Apôtres était encore en vie. (...)

C'est sous le signe des mines que tout le travail s'accomplit. Défense de fumer. Défense de courir. Défense même d'aller sur le pont, sans nécessité absolue. (...)

Il eût fallu des mois pour décharger les mines et nous n'avons que quinze jours pour achever le film avant l'anniversaire. Essayez un peu de tourner une révolte dans pareilles conditions ! Mais « les obstacles n'existent pas pour les Russes », et la révolte fut tournée !

Ce n'est pas en vain que les mines ont remué dans le ventre du vieux cuirassé et frémi du fracas des événements historiques qui reprenaient vie sur le pont. Le rejeton cinématographique a emporté dans son tour du monde quelque chose de leur puissance explosive. L'image du vieillard révolté a causé bien des inquiétudes à beaucoup de censures et de polices d'Europe. Il n'y eut pas moins de remous dans l'esthétique cinématographique. (...)

La scène de la fusillade sur l'escalier d'Odessa ne figurait sur aucun scénario préliminaire, sur aucune des notes préparatoires au montage. C'est la rencontre même de l'escalier qui la fit naître. (...) C'est l'élan même de ces marches qui fit jaillir l'idée de la scène. Son mouvement irrésistible poussa l'imagination du metteur en scène à créer lui aussi un autre élan.

On pourrait dire que la terreur de la foule se précipitant jusqu'au bas des marches d'un seul mouvement n'est rien autre que l'incarnation de cette première émotion, ressentie à la vue de l'escalier lui-même. (...) Et voici que cet épisode particulier incarne l'émotion de l'épopée de 1905 tout entière. La partie a pris la place du tout. Et la partie s'est imprégnée de l'émotion du tout. Comment la chose fut-elle possible ?

La revalorisation du gros plan qui transforme un détail d'information en une particularité susceptible d'évoquer tout un ensemble dans l'esprit et le coeur du spectateur y est pour beaucoup. Ainsi le pince-nez du médecin au moment voulu prend la place de l'homme : le pince-nez balancé par les vagues remplace le médecin en train de se débattre dans les algues, après le jugement sommaire des marins. (...)

Le morceau de viande avariée grandit jusqu'à devenir le symbole des conditions inhumaines de vie, imposées à l'armée et à la flotte aussi bien qu'aux exploités de « la grande armée du travail ». La scène de la plage arrière a absorbé les traits de cruauté caractéristique de la répression tsariste contre toute tentative de révolte.

Cette scène symbolise également le mouvement de riposte non moins caractéristique de ceux qui reçurent en 1905 l'ordre de sévir contre les révoltés. Le refus de tirer sur la foule, sur la masse, sur le peuple, sur les frères, c'est un élément propre à l'atmosphère de l'année « cinq » ; il illustre le passé de plusieurs unités de l'armée que la réaction lâchait contre les révoltés.

La scène funèbre devant la dépouille mortelle de Vakoulintchouk fait écho à toutes les obsèques de victimes de la révolution, qui se transformaient en manifestations ardentes, provoquant bagarres et massacres. (...)

Enfin, la dernière image du film, le passage victorieux du cuirassé à travers l'escadre de l'Amirauté, cet accord majeur qui met fin aux événements, porte en elle, cette fois encore, la vision entière de la révolution de l'année « cinq ».

Nous connaissons la suite de l'histoire du cuirassé. Il fut bloqué à Constanza puis rendu au gouvernement tsariste. Une partie des marins échappa. Mais Matinchenko, tombé aux mains des bourreaux tsaristes, fut exécuté. Toutefois, l'histoire filmée du cuirassé se clôt avec raison sur une victoire. Car, du point de vue purement historique, la révolution de l'année « cinq », noyée elle-même dans le sang, figure dans le cours des événements révolutionnaires, avant tout comme un fait victorieux. Elle annonce la victoire finale d'Octobre. (...)

S. M. Eisenstein











L'artiste de la Révolution

Florence Colombani. Article paru dans l'édition « Le Monde » du 23.01.2005


Les encyclopédies américaines l'appellent le « Griffith soviétique ». Comme son aîné américain, Sergueï M. Eisenstein est l'inventeur d'une grammaire essentielle pour tous les cinéastes. Le jeune homme a dix-neuf ans en 1917 et un diplôme d'ingénieur. Enflammé par les promesses de la Révolution, il se lance dans le théâtre, aux côtés de l'acteur et metteur en scène Vsevolod Meyerhold. Mais dans l'URSS naissante, le prestige du cinéma, art moderne, est incomparable.

En 1922, Kozintsev, Trauberg et Youtkevitch créent la Fabrique de l'acteur excentrique, qui favorise des formes d'expression comme le jazz, le burlesque ou la boxe. Dans cette mouvance, Eisenstein commence son oeuvre de théoricien. Son premier long-métrage, La Grève, dénonce la condition ouvrière dans la Russie tsariste. Un tel acte de foi dans le nouveau régime lui vaut une commande prestigieuse : une oeuvre pour commémorer la révolution de 1905.

Ambitieux, Eisenstein conçoit une vaste fresque dont il commence le tournage à Moscou. Mais ni le temps ni la météo ne sont au rendez-vous. Voici l'équipe partie, racontera-t-il, « à la recherche des derniers rayons du soleil, du côté d'Odessa et de Sébastopol ». Le cinéaste décide alors que « la partie va tenir lieu du tout » : un épisode, celui de la révolte à bord du cuirassé Prince Potemkine, « va matérialiser affectivement toute l'épopée de 1905 ».

La splendeur du Cuirassé Potemkine impose Eisenstein comme un artiste de génie. Le pouvoir lui commande aussitôt Octobre, qui sort en 1927 pour célébrer l'anniversaire de la Révolution. Le choix des comédiens obéit à des considérations d'ordre idéologique. Ainsi, un ouvrier est choisi pour jouer Lénine. Eisenstein dispose de moyens exceptionnels. L'armée rouge et la population de Leningrad sont mobilisées pour des scènes de foule.

Cette opulence a son prix : Eisenstein doit obéir aux souhaits du bureau politique. Trotski vient d'être expulsé pour activités contre-révolutionnaires. Interdiction, donc, de mettre en avant son rôle en 1917. La légende dit que Staline en personne vint s'en assurer dans la salle de montage.

Eisenstein poursuit sa réflexion sur la nature du cinéma, en accordant une importance primordiale au montage.

En 1929, il est autorisé à quitter le pays pour une mission d'étude sur le cinéma parlant. Il visite Berlin, Paris, puis Hollywood, où la Paramount l'a invité. A son retour en 1932, éprouvé par le tournage de Que viva Mexico ! qu'il n'a pu achever, il est accueilli avec une méfiance hostile. On exige de lui une autocritique publique lors d'un congrès ; il doit arrêter un film en plein tournage (Le Pré de Béjine ).

Pourtant, Staline lui fait assez confiance pour le laisser tourner un nouveau chef-d'oeuvre, Alexandre Nevski. Eisenstein succombe à une crise cardiaque en 1948, quelques mois à peine après l'interdiction du deuxième volet de son Ivan le terrible, portrait d'un tyran paranoïaque.




Extrait : Le Cuirassé Potemkine (1925) Sergeï Mikhaïlovitch Eisenstein

Alphaville | Jean-Luc Godard | 1965

Titre : Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution

Réalisation : Jean-Luc Godard

Acteurs principaux : Eddie Constantine, Anna Karina, Akim Tamiroff

Scénario : Jean-Luc Godard

Photographie : Raoul Coutard

Montage : Agnès Guillemot

Musique : Paul Misraki

Production : André Michelin

Société(s) de production : Athos Films

Pays d’origine : France, Italie

Langue(s) originale(s) : (fr)

Genre : Policier, Science-fiction, Dystopie

Durée : 99 min

Sortie : 5 mai 1965

Principale(s) récompense(s) : Ours d'or au Festival de Berlin en 1965






Offret | Le Sacrifice | Andrei Tarkovski | 1986



Titre original : Offret

Titre Français : Le Sacrifice

Réalisation : Andreï Tarkovski

Acteurs principaux :
Erland Josephson,
Susan Fleetwood,
Valérie Mairesse,
Allan Edwall,
Gudrun Gisladottir,
Sven Wollter,
Filippa Franzen,
Tommy Kjellqvist

Scénario : Andreï Tarkovski

Photographie : Sven Nykvist

Musique :
Johann Sebastian Bach,
Watazumido Shuso

Production : Anna-Lena Wibom

Société(s) de distribution : Sandrew (Suède)

Pays d’origine :
Suède
Royaume-Uni
France

Langue(s) originale(s) suédois / anglais / français

Durée : 149 min

Sortie : 1986



Andreï Tarkovski : BIO EXPRESS


1932 Naissance le 4 avril à Zavraje (Russie), province d’Ivano. Son père est le poète russe Arseni Tarkovski, et sa mère, Maria Vishnyakova, est diplômée de littérature.

1937 Le père quitte le foyer familial. Andrei s’installe à Moscou avec sa mère et sa soeur Marina.

1939 Evacuation de Moscou pendant la guerre, la famille s’installe chez la grand-mère maternelle.

1943 Retour à Moscou.

1954 Intègre l’Institut central du cinéma (VGIK).

1956 Réalise son premier court métrage, Les Tueurs, en noir et blanc, d’après une nouvelle de Hemingway.

1957 Epouse Irma Raush, rencontrée au VGIK, avec qui il aura un fils, Arseny, en 1962.

1960 Le Rouleau compresseur et le violon, un moyen métrage en couleurs, est son film de fin d’études.

1962 Son premier long métrage, L’Enfance d’Ivan, remporte le Lion d’or à Venise.

1969 Remporte le prix Fipresci de la critique internationale à Cannes pour Andrei Roublev.

1970 Divorce de sa première femme, épouse Larissa Kizikova, assistante de production sur Andrei Roublev, avec qui il aura un fils, Andrei, en 1970.

1976 Met en scène Hamlet au théâtre Lenkom de Moscou. Le tournage de Stalker tourne au fiasco.

1979 Termine Stalker.

1983 Nostalghia reçoit le Grand Prix du cinéma de création à Cannes, le prix Fipresci et le Prix oecuménique.
Met en scène Boris Godounov au Royal Opera House de Londres.

1984 Annonce au cours d’une conférence de presse donnée à Milan qu’il ne retournera jamais en Union soviétique.

1985 Tourne Le Sacrifice en Suède. Apprend qu’il est atteint d’un cancer du poumon.

1986 S’installe à Paris où le rejoignent sa femme et son fils. Décède le 28 décembre à Neuilly-sur-Seine.



Missionnaire

Article d’Isabelle Regnier paru dans l'édition « Le Monde » du 27.01.2008

Andreï Tarkovski. Poète, philosophe, mystique... L'artiste russe, reconnu comme l'un des grands maîtres du septième art, considérait son oeuvre comme « une prière »


Venu relativement tard au cinéma, Andreï Tarkovski a passé sa vie à ferrailler avec les autorités soviétiques, et n'a laissé derrière lui que sept films.

Mort jeune, à 54 ans, il est reconnu comme le cinéaste russe le plus important de la seconde moitié du XXe siècle et, plus largement, comme l'un des grands maîtres du septième art. Poète, philosophe, mystique, Andreï Tarkovski se considérait comme un sculpteur de temps, investi, en tant qu'artiste, d'une mission envers Dieu : « Mes films ne sont pas une expression personnelle, mais une prière. »

Emplis de visions sidérées et sidérantes du monde, ses films ont inspiré de nombreux cinéastes, parmi lesquels Ingmar Bergman, qui écrivit sur leur auteur : « Si Tarkovski est pour moi le plus grand, c'est parce qu'il apporte au cinématographe, dans sa spécificité, un nouveau langage qui lui permet de saisir la vie comme apparence, comme songe. »

Né en 1932 dans la province russe d'Ivano, Andreï Tarkovski est profondément marqué, dans son enfance, par le départ de son père, le poète Arseni Tarkovski, et par la vie qu'il mène ensuite, où il est ballotté avec sa mère et sa soeur au gré des événements, et notamment de la guerre - autant d'événements qui trouveront des échos dans son film autobiographique, Le Miroir.

Initié à la musique, la peinture, la sculpture, Tarkovski s'engage, une fois à l'université, dans des études d'arabe, qu'il abandonne en cours de route.
Engagé comme géologue par l'Académie des sciences de Moscou, il formule le projet de devenir cinéaste alors qu'il est embarqué dans une longue mission dans la région de Krasnoïarsk.

Admis au VGIK (l'Institut central du cinéma) en 1956, il découvre, sous la tutelle de son professeur, Mikhaïl Romm, le néoréalisme italien, la nouvelle vague française, les films de Kurosawa, de Buñuel, de Bergman, Bresson, Mizoguchi... et réalise, l'année suivante, son premier court-métrage, Les Tueurs, adapté d'une nouvelle d'Hemingway. En 1960, Le Rouleau compresseur et le Violon, son film de fin d'étude, reçoit le premier prix du Festival de films d'étudiants de New York, la première d'une longue série de distinctions internationales.

Son premier long-métrage, L'Enfance d'Ivan, en effet, est couronné par le Lion d'or à Venise. Hormis Le Miroir, les suivants - Andreï Roublev, Solaris, Stalker, Nostalghia, Le Sacrifice - iront tous à Cannes, et plusieurs seront primés. Aucun toutefois ne recevra la Palme d'or.

Constamment tiraillé entre l'Orient et l'Occident, le cinéaste fuit le régime soviétique en 1982, laissant derrière lui sa femme et son fils, Andreï. Il tourne Nostalghia en Italie, avec le soutien de la RAI, et Le Sacrifice, son dernier film, en Suède. Atteint d'un cancer du poumon, il meurt à Paris en 1986, aux côtés de sa femme et de son fils, qui ont finalement obtenu l'autorisation de quitter l'URSS pour le rejoindre.




Le Sacrifice. Un acte de foi


Dans ce film testament, Andreï Tarkovski aborde son angoisse de l’envahissement matérialiste de la société contemporaine. Une problématique chrétienne assumée

Dernier film d’Andreï Tarkovski, adapté d’une nouvelle qu’il écrivit lui-même en 1984, réalisé en Suède alors qu’il vivait coupé de sa femme et de son fil depuis plusieurs années, Le Sacrifice peut être considéré comme l’œuvre testamentaire du cinéaste.

Le sacrifice en question est celui d’un intellectuel, athée, bourgeois, Alexander (Erland Josephson, l’acteur bergmanien de Scènes de la Vie conjugale, de Saraband…), qui se retrouve saisi d’effroi le jour de son anniversaire quand la télévision lui apprend qu’une guerre nucléaire a été déclarée. Il s’agenouille alors devant Dieu et s’engage à renoncer à tout ce qu’il possède – famille, amis, maison, biens matériels… – si le monde reprenait le cours qui était le sien, juste avant l’effroyable événement. Le miracle se produit, et l’homme exécute sa promesse.

Le film commence au bord d’une rivière, où Alexander arrive avec son fils, rendu muet à la suite d’une opération, pour planter avec lui un arbre sec. Ce faisant, il lui raconte une parabole japonaise sur un garçon qui, à force d’arroser ainsi chaque jour un arbre sec, obtint de le voir renaître à la vie au bout de trois ans. Dans le même plan-séquence, sans que l’homme se soit arrêté de parler, un autre arrive à vélo, le facteur, qui l’entraîne dans une longue discussion métaphysique, puis s’en va, le laissant poursuivre seul ses divagations, dans ce qui s’apparente à une véritable logorrhée.

Le film s’achève au même endroit, près de la rivière, après une journée et une nuit durant lesquelles le temps semble s’être littéralement dissolu, éclaté en quelques longues séquences où le surnaturel vient sans cesse pénétrer la sphère du réel et emporter le film dans des terres poétiques mystérieuses : une fête d’anniversaire qui vire à l’apocalypse, la longue prière épiphanique d’Alexander, une scène d’amour en lévitation, la mise à feu de sa propre maison et le départ d’Alexander dans une ambulance…. Revenu seul arroser son arbre, le fils prononce alors ses premiers mots, dans les dernières minutes du film : « Au commencement était le verbe… qu’est-ce que cela veut dire, papa ? »

Lumineux et obscur, foisonnant de symboles, d’incises inexpliquées, ce film empreint de mythologie païenne met en scène, autour d’une problématique profondément chrétienne, l’angoisse du réalisateur face au matérialisme des sociétés modernes.




Extrait : Offret | Le Sacrifice (1986) Andrei Tarkovski




Antonio das Mortes | Glauber Rocha | 1969


Titre : Antonio Das Mortes

Titre original : O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro

Réalisation : Glauber Rocha

Scénario : Glauber Rocha

Production : Luiz Carlos Barreto, Claude-Antoine, Glauber Rocha et Zelito Viana

Musique : Marlos Nobre

Photographie : Affonso Beato

Montage : Eduardo Escorel

Décors : Glauber Rocha, Hélio Eichbauer, Paulo Gil Soares et Paulo Lima

Costumes : Hélio Eichbauer, Paulo Lima, Glauber Rocha et Paulo Gil Soares

Pays d'origine : Brésil

Format : Couleurs - Mono

Durée : 100 minutes

Date de sortie : 1969

Distribution :
Maurício do Valle : Antonio das Mortes
Odete Lara : Laura
Othon Bastos : L'instituteur
Hugo Carvana : Le commissaire Mattos
Jofre Soares : Le colonel Horácio
Lorival Pariz : Coirana



Glauber Rocha, apôtre du tiers-monde

"Je n'ai pas honte de dire que mes films sont produits par la douleur, par la haine, par un amour frustré et impossible, par l'incohérence du sous-développement." Ainsi parlait Glauber Rocha, météore du cinéma brésilien.

Article de Florence Colombani paru en décembre 2006 « Le Monde »

Né en 1938 à Vitoria de Conquista (Brésil), Rocha reçoit une éducation strictement religieuse. Après trois ans de droit, il devient journaliste culturel et révèle un véritable talent de théoricien. Tâtant d'abord du court métrage puis de la production, il signe son premier long-métrage en 1962. Barravento raconte l'histoire d'un homme qui tente de libérer les pêcheurs de son village d'une obéissance aveugle à leur religion. Le film fait le tour des festivals et suscite l'admiration d'Alberto Moravia.

En 1964, Le Dieu noir et le Diable blond impose Rocha comme un cinéaste de premier plan. Négligeant ostensiblement la narration classique, le cinéaste marie l'allégorie philosophique et le naturalisme stylistique. La même année, un coup d'Etat militaire au Brésil vient couper court à l'effervescence libertaire du début des années 1960. Le Dieu noir et le Diable blond marque la première apparition dans le cinéma de Rocha du personnage d'Antonio das Mortes, tueur à la solde des propriétaires terriens qui reviendra en 1969, dans le film Antonio das Mortes, en justicier au service du peuple.

Entre-temps, à Gênes, en Italie, Rocha présente, dans le cadre d'un colloque sur le tiers-monde, son manifeste L'Esthétique de la faim. En 1967, il réalise Terre en transe, pierre angulaire du Cinema Novo, ce jeune cinéma brésilien qui revendique avec fougue son statut de déshérité et son combat politique. En 1969, Jean-Luc Godard filme Rocha dans Vent d'est, une réflexion sur la tentation révolutionnaire.

Au sein de sa génération, Rocha se distingue de ses camarades de lutte, Nelson Pereira dos Santos (Sécheresse, 1963) ou Ruy Guerra (Les Fusils, 1965), par son goût pour le baroque flamboyant. Les années 1970 le voient mener diverses aventures. La première est africaine, avec le tournage au Congo du Lion à sept têtes, une réflexion ambitieuse sur le langage esthétique et politique du cinéma qui emprunte à Brecht et à Godard. La seconde est politique : en 1978, Rocha, rentré au pays après cinq ans d'exil, est candidat au poste de gouverneur de l'Etat de Bahia. Sa défaite le laisse meurtri. Au Festival de Venise en 1980, son Age de la terre est mal accueilli, et le cinéaste dérape en traitant Louis Malle (Lion d'or pour Atlantic City) de " fasciste ". En 1981, Glauber Rocha meurt, à l'âge de 42 ans, laissant derrière lui dix longs métrages et une profusion d'articles et de livres.



Un chant d'espérance et de liberté

"Antonio das Mortes" rend au cinéma sa grandeur et sa magie ", écrivait Yvonne Baby en préambule de sa critique dans " Le Monde " du film de Glauber Rocha, lors de sa projection au Festival de Cannes 1969

Article de Yvonne Baby paru en mai 1969 « Le Monde »

C'est un film étonnant d'inspiration, de liberté, de richesse et de lyrisme. Ce romancero mêlant le sublime au tragique et tenant du drame et de l'opéra, a été le choc du Festival. Choc mais non révélation, car son auteur, le Brésilien Glauber Rocha, nous le connaissions déjà par deux de ses films, Dieu noir et Diable blond et Terre en transe, projetés à Cannes, l'un en 1964 et l'autre en 1967.

Spectacle total, représentation, dramatisation volontairement et justement explosive de la réalité et des mythes du Brésil, Antonio das Mortes est la suite naturelle - et d'une certaine manière la synthèse - du Dieu noir et Diable blond et de Terre en transe. La réflexion de Rocha se fait, cette fois, à partir d'une fable liée à une tradition, à une culture populaire et qui, bien évidemment, éclaire la situation actuelle de l'Amérique latine.

Célèbre " tueur de cangaceiros ", Antonio das Mortes est appelé par le coronel (propriétaire terrien qui règne sur la région) pour réprimer la révolte des beatos, paysans pauvres opprimés du sertao dont le mysticisme primitif est incarné par une femme, " sainte ", partageant leur vie. Autour du coronel aveugle et guidé par son valet espion Batista, il y a sa femme, un prêtre, un commissaire de police, un professeur que le désenchantement et la lâcheté conduisent à l'alcoolisme. Parmi les beatos, un homme jeune, ardent, Coirana, tente de prendre la tête du soulèvement pour continuer le combat du chef cangaceiro Lampiao, mort héroïquement.

Antonio das Mortes devra donc tuer Coirana, de même qu'il avait assassiné Lampiao. Ce qu'il fera, au cours d'un duel scandé par les battements de mains et les chants (la macumba) des paysans intervenant en quelque sorte comme les choeurs d'une tragédie. " Le jour où Coirana viendra finira l'obéissance, et s'il meurt le reste du peuple mourra de misère ", disent les " beatos " que rejoindra bientôt Antonio das Mortes à la suite d'une crise personnelle et d'événements sanglants.

Ce chevalier au service du pouvoir et d'une cause, au fond, perdue, ce solitaire en cape, chapeau et bottes sombres, dont la massive silhouette qui se profile à l'horizon du sertao hantera longtemps notre mémoire, n'accepte plus les injustices, les humiliations, les souffrances et, de l'autre côté, la corruption et la cruauté. Il va vers le camp où sa conscience l'entraîne, il se désolidarise complètement de la répression qu'organise le coronel avec le soutien de tueurs. Il porte lui-même le corps de Coirana - les bras en croix contre un arbre, le cangaceiro évoque le Christ - et au massacre des paysans, il répond par les armes (...) pour venger ses nouveaux compagnons. Puis, toujours seul, il reprend la route où il croise - signes de la " civilisation " - les camions, les voitures, les autocars. Derrière lui, il a laissé l'unique survivant des beatos, un Noir qui, à cheval avec la " sainte " (l'image est saisissante), est conduit par le prêtre portant un fusil en bandoulière.

Dans O Dragão da maldade contra o santo guerreiro (" Le Dragon de la méchanceté contre le saint guerrier ", titre original d'Antonio das Mortes), le guerrier, c'est le Noir ; Rocha s'étant inspiré du mythe de saint Georges, très populaire au Brésil.

Cinéma d'action autant que de stylisation - ainsi l'exigent toute épopée, toute légende - ce film émeut et captive par sa beauté, par sa force. Et si la couleur est si importante, c'est qu'elle a un rôle actif, indépendamment de sa fonction esthétique. On pourrait dire que le blanc de la pureté (la " sainte ") contraste avec le noir de la tragédie et avec le rouge de la violence, cette violence qui pourrait choquer certains mais qui, traditionnellement, existe dans ce pays. De plus, ce qui frappe, c'est qu'ici le sang nous donne le sentiment du vrai et que la rébellion, dans son anarchie, sa sauvagerie, exprime un désir de changement social, politique, historique. Car Antonio das Mortes est, pour tout un peuple, un chant d'espérance et de liberté.



La guerre sans fin

Article de Cyril Béghin paru dans les « Cahiers du cinéma »
A lire : Le Siècle du cinéma, de Glauber Rocha, ed. Yellow Now

" Ici explose la guerre sans fin ", dit lentement la sainte du peuple, en robe blanche, à Antonio das Mortes, le tueur de cangaceiros. Cette vierge oracle parle d'un combat qui n'en finit pas de reprendre, celui du Dragão da maldade contra o santo guerreiro, du " Dragon de la méchanceté contre le saint guerrier ", comme l'annonce le titre original : lutte d'un peuple exsangue face à ceux qui les accablent, et ici, dans le contexte brésilien, lutte de la paysannerie, défendue par les cangaceiros, face aux propriétaires terriens et leurs tueurs à gages. Mais elle parle tout autant du film, litanie tonitruante, paysage rude planté d'oriflammes, explosante infinie qui alterne de longues plages aussi silencieuses et hiératiques que les plaines du Nordeste avec de violents tumultes chromatiques (c'est le premier film en couleur de Glauber Rocha) et sonores (les balades de Sergio Ricardo y côtoient la modernité du compositeur Marlos Nobre).

Et la sainte se fait aussi, enfin, la voix de la destinée mythique d'Antonio das Mortes, personnage créé par Rocha dans Le Dieu noir et le Diable blond (1964), mais que l'histoire n'a pas voulu abandonner à ce seul film. Antonio lui-même, masse brute en long manteau, ralenti, assombri, est comme stupéfait de se retrouver à nouveau là, fusil en main, à devoir encore tuer un cangaceiro - il pensait que le diable blond était " le dernier ", et que les temps avaient changé. Or les temps ne changent jamais tout à fait chez Rocha, comme le prouvera en 1980 le grand carnaval archaïque et le titre même de son dernier film : L'Age de la terre. Les mythes sont plus vieux que l'humanité et, " comme pour les frères Lumière, le Cinema Novo commence à chaque film de zéro, balbutiant un alphabet brutal qui signifie tragiquement : "civilisation sous-développée" " (Rocha dans son livre Revoluçao do Cinema Novo).

La guerre sans fin, c'est aussi l'agonie interminable du cangaceiro Coirana, qui, une fois éventré par Antonio das Mortes, passe d'une place de village à l'anfractuosité gigantesque d'une montagne, puis de cette montagne à l'étendue aride du sertão. Trois lieux où miroitent les trois faces du puissant style syncrétique de Rocha, constante alternance entre la distanciation théâtrale, la précision chorégraphique de longs plans-séquences, la sauvagerie ou l'extase de rituels et de défilés saisis par une caméra mouvante et un montage abrupt.

S'il est parfois brutal, l'alphabet de Rocha est donc singulièrement riche. Le théâtre sur la place du village ou dans la nature, l'hubris populaire dans la rue ou la montagne, la mise en scène moderne, avec ses espaces vides et ses temporalités élastiques, en plein sertão ou dans la maison du coronel : Antonio das Mortes emporte tout cela dans un seul grand mouvement génial, triomphe d'hybridation qui marque à la fois un aboutissement et une renaissance dans l'oeuvre de Rocha.

L'agonie de Coirana traverse, sans ostentation, toute la diversité des mises en scène, parce qu'elle détient le secret de la rupture du cinéaste : les films suivants de Rocha, du méconnu Cancer (1968-1972) à L'Age de la terre, en passant par Claro (1975) ou le sublime court-métrage Di Cavalcanti (1977), seront parmi les plus libres du cinéma des années 1970. S'exilant du Brésil dictatorial et appliquant son programme d'un " cinéma tricontinental ", il travaille à Cuba, au Congo, en Espagne, en Italie, et semble rendre dans chacun de ses nouveaux films des hommages à ses cinéastes frères ou oncles : Buñuel, Pasolini, Godard, dont il intègre et recycle les imageries ou les lieux à l'intérieur de son propre style.

Rocha dévore le cinéma, et, simultanément, Antonio das Mortes voyage avec lui à travers les films : le western italien reprend sa silhouette (Sergio Leone l'a retenu du Dieu noir), Fassbinder lui rend hommage (un sosie allemand dans Le Voyage à Niklashausen, en 1970). Ainsi Antonio das Mortes est, pendant quelque temps, devenu un mythe au-delà du film, portant la guerre sans fin partout où passait son image, tandis que le guerrier Rocha se battait sur tous les fronts du cinéma.
^^

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Extrait : Antonio das Mortes (1969) Glauber Rocha