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FILMS : Charulata | Satyajit Ray | 1964 M le Maudit | Fritz Lang | 1931 Festen | Thomas Vinterberg | 1998 Offret | Le Sacrifice | Andrei Tarkovski | 1986 Le Cuirassé Potemkine | S.M. Eisenstein | 1925 Raging Bull | Martin Scorsese | 1980 Brutti Sporchi e Cattivi | Ettore Scola | 1976 The General | Clyde Bruckman, Buster Keaton | 1926 Ladri di Biciclette | Vittorio de Sica | 1948 The Maltese Falcon | John Huston | 1941 Rumble Fish | Francis Ford Coppola | 1983 Les Ailes du Désir | Wim Wenders | 1987 Traité de Bave et d'Eternité | Isidore Isou | 1951 On the Waterfront | Elia Kazan | 1954 Brazil | Terry Gilliam | 1985 Down by Law | Jim Jarmusch | 1986 Alphaville | Jean-Luc Godard | 1965 Scarface | Brian de Palma | 1984 Le Fanfaron | Dino Risi | 1962 Casablanca | Michael Curtiz | 1942 Citizen Kane | Orson Welles | 1941 In Mood For Love | Wong Kar Wai | 2000 Printemps, été, automne, hiver ... et printemps | Kim Ki-Duk | 2003 Dr. Strangelove | Stanley Kubrick | 1964 Third Man | Carol Reed | 1949 The Great Dictator | Charles Chaplin | 1940 Requiem for a Dream | 2000 | Darren Aronofsky Bonnie And Clyde | 1967 | Arthur Penn Les Triplettes de Belleville | 2003 | Sylvain Chomet Singin'in the Rain | 1952 | Stanley Donen et Gene Kelly Antonio das Mortes | Glauber Rocha | 1969 La Haine | 1995 | Mathieu Kassovitz Le Salaire de la peur | 1953 | Henri-Georges Clouzot C'eravamo Tanto Amati | 1974 | Ettore Scola Série Noire | 1979 | Alain Corneau Pink Floyd | Wall | 1982 | Alan Parker A Clockwork Orange | 1971 | Stanley Kubrick La Femme du Boulanger | 1938 | Marcel Pagnol Le Jour se Lève | 1939 | Marcel Carné Hôtel du Nord | 1938 | Marcel Carné Faces | 1968 | John Cassavetes La Nuit du Chasseur | 1955 | Charles Laughton Macadam Cowboy | 1969 | john Schlesinger Douze Hommes en colère | 1957 | Sidney Lumet Fahrenheit 451 | 1966 | Francois Truffaut La Valse des Pantins | 1983 | Martin Scorsese Le Pigeon | 1958 | Mario Monicelli Le Visage | 1957 | Ingmar Bergman Le Beau Serge | 1959 | Claude Chabrol Maarek Hob | 2003 | Danielle Arbid Rosetta | 1998 | Luc et Jean-Pierre Dardenne The Servant | 1963 | Joseph Losey Glenn Ford Quentin Tarantino Shohei Imamura Patrick Dewaere John Cassavetes Il Buono, il Brutto e il Cattivo | The Bad, The Good and The Ugly | Sergio Leone | 1966 Sergio Leone Johnny Got His Gun | Dalton Trumbo | 1971 David Lynch | Rabbits | 2002 David Lynch | Symphony No. 1 : The Dream of the Broken Hearted | 1990 David Lynch | Eraserhead | 1977

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David Lynch | The Grandmother | 1970

The Grandmother

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Animation : David Lynch

Prise de vues : David Lynch

Genre : surréalisme, moyen métrage

Durée : 34 minutes


Distribution
Richard White : Garçon
Dorothy McGinnis : Grand-mère
Virginia Maitland : Mère
Robert Chadwick : Père






The Grandmother - David Lynch | (Trailer) | 1970

David Lynch | Eraserhead | 1977

Eraserhead

Titre français : Labyrinth man

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Décors : David Lynch

Photographie : Herbert Cardwell, Frederick Elmes

Montage : David Lynch

Musique : Peter Ivers, David Lynch

Effets spéciaux : David Lynch

Production : American Film Institute, David Lynch

Budget : 100 000 $ (estimation)

Langue : anglais

Genre : Fantastique, Horreur, Drame

Durée : 85 minutes

Format : Noir et Blanc - 35 mm - 1.85 :1 - Mono

Dates de tournage : du 29 mai 1972 à janvier 1975

Dates de sortie : États-Unis : 19 mars 1977 (Festival Filmex) ; France : 17 décembre 1980

Interdit aux moins de 16 ans


Distribution
Jack Nance : Henry Spencer
Charlotte Stewart : Mary
Allen Joseph : Bill, le père de Mary
Jeanne Bates : la mère de Mary
Judith Anna Roberts : la belle fille de l’autre côté du couloir
Jean Lange : la dame dans le radiateur
Laura Near : la grand-mère
V. Phipps-Wilson : la propriétaire





Eraserhead Trailer David Lynch




David Lynch | Rabbits | 2002

Rabbits

Réalisation : David Lynch

Scénario : David Lynch

Musique : Angelo Badalamenti

Format : couleur - 1,78:1

Langue : anglais

Pays d'origine : États-Unis

Année de production : 2002

Genre : Drame, épouvante-horreur, Fantastique

Durée : 50 minutes


Distribution :
Jack : Scott Coffey
Jane : Rebekah Del Rio
Jane : Laura Elena Harring
Suzie : Naomi Watts



Rabbits (2002) David Lynch

Johnny Got His Gun | Dalton Trumbo | 1971


Johnny Got His Gun - Johnny s'en va-t-en guerre
(Etats-Unis, 1971, 111 min).

RÉALISATION, SCÉNARIO
Dalton Trumbo, d'après son roman publié en 1939.

PHOTOGRAPHIE
Jules Brenner.

DÉCORS
Harold Michelson.

MONTAGE
Millie Moore.

PRODUCTION
Bruce Campbell, Tony Monaco et Christopher Trumbo.

INTERPRÈTES
Timothy Bottoms, Kathy Fields, Marsha Hunt, Jason Robards, Donald Sutherland.


Un hymne pacifiste

Pour écrire son livre, dont il a tiré le film, Trumbo s'est inspiré de souvenirs personnels et d'articles de presse. RUE DES ARCHIVES

Jean de Baroncelli, Article paru dans l'édition « Le Monde » du 18 mai 1971

De la souffrance morale d'un jeune soldat isolé dans son corps après avoir été déchiqueté par un obus, le réalisateur tire une oeuvre onirique et émouvante. Son réquisitoire ne perd jamais de sa force.

Dalton Trumbo a 65 ans. Romancier, scénariste, auteur dramatique, il n'avait jamais fait de mise en scène de cinéma. En 1964, Luis Buñuel fut tenté de porter à l'écran Johnny Got His Gun et Trumbo travailla avec lui au scénario. Mais le producteur fit faillite. Quelques années plus tard, Trumbo reprenait le projet, et malgré le refus des "major companies" hollywoodiennes de s'intéresser à l'affaire, décidait de tourner lui-même le film.

L'histoire de Johnny Got His Gun est atroce. Pendant la première guerre mondiale, un jeune soldat américain est déchiqueté par un obus. Il n'a plus ni bras ni jambes, son visage est en bouillie. Il est aveugle et sourd. Mais son coeur bat encore. Le médecin qui le soigne (à titre expérimental) est persuadé que le cerveau est atteint.

En réalité, Johnny est parfaitement conscient. Sa mémoire fonctionne et le toucher lui permet de communiquer avec le monde extérieur. Bref, il sait ce qu'il est devenu. S'il ne souffre pas physiquement, sa souffrance morale est intolérable et, du fond de son gouffre, il hurle au secours, sans qu'on veuille l'entendre.

L'adaptation d'un tel sujet présentait de sérieuses difficultés, que Dalton Trumbo n'a pas toujours réussi à vaincre. L'essentiel du récit est, en effet, constitué par le long monologue intérieur de Johnny. Une voix qui était la sienne nous fait continuellement plonger dans son passé et dans ses rêves. Souvenirs et phantasmes oniriques que le réalisateur traduit en images souvent pesantes et maladroites. La force et l'expérience d'un Bergman ou d'un Buñuel manquent à cette partie du film.

En revanche, toutes les scènes (en noir et blanc) qui se déroulent au chevet du malade expriment parfaitement l'horreur de la situation. Et quand intervient une jeune infirmière qu'une immense pitié attache à Johnny et que, grâce à elle, celui-ci peut exprimer son désespoir, nous vivons des moments de réelle émotion. Une fois de plus, la guerre est clouée au pilori par une oeuvre implacable. Le film a des défauts, la violence du réquisitoire nous aide à les oublier.



Dalton Trumbo

Propos recueillis par Louis Marcorelles " Le Monde " du 2 mars 1972

J'avais écrit mon livre à la fois à partir d'expériences personnelles : mes souvenirs d'adolescence, et des articles de journaux consacrés aux victimes de la première guerre mondiale. J'étais trop jeune pour l'avoir vécue personnellement, mais je me rappelais l'excitation qu'elle avait suscitée. Plus tard, avant de rédiger le roman, j'ai lu deux comptes rendus - dans des journaux canadiens - qui m'ont beaucoup impressionnés. Ils racontaient, entre autres, la visite du roi d'Angleterre à un mutilé de guerre complètement paralysé... Il avait communiqué avec lui en l'embrassant sur la poitrine.

Le livre est né dans la ferveur. Je l'ai dicté à ma secrétaire dans un sorte d'improvisation. Je ne pensais nullement en tirer un jour un film. Puis, en 1964, j'ai rencontré le producteur de Luis Buñuel, Gustavo Alatriste (...). Alatriste me dit que Buñuel mettrait en scène le film si j'en écrivais l'adaptation, et je suis parti pour Mexico retrouver Luis, que je connaissais depuis plus de dix ans. (...) Huit mois plus tard, j'avais terminé mon adaptation et je l'ai envoyée.

Mais Gustavo Alatriste n'avait plus d'argent et le script m'est revenu. (...)
Le film achevé, je l'ai projeté à Luis, un peu comme un chien rapporte un os à son maître. Luis l'adora, particulièrement la scène où l'infirmière essaie d'étrangler Johnny et échoue. Je lui ai dit : c'est votre scène !

Effectivement, il me l'avait suggérée, c'était consigné dans le livre, de sa propre écriture. Luis, c'est un tout. Il avait conçu la scène, l'avait totalement oubliée, puis, la voyant à l'écran, l'adorait autant que lorsqu'il l'avait lui-même inventée.

L'expérience du tournage a été pour moi assez unique. J'ai découvert le pouvoir, un extraordinaire sentiment de puissance en tant que metteur en scène. Mon principal travail avec les acteurs a consisté à les entourer d'affection.

Timothy Bottoms, qui joue Johnny, avait 19 ans, il n'avait jamais paru devant une caméra, avec lui j'étais un peu comme un grand-père. Il est assez typique de la jeunesse des années 1970, hypersensible, très subjectif, un peu éloigné de la réalité. (...)

Le vieil Hollywood est mort, et pas seulement à cause de la liste noire dont j'ai été une des victimes. L'Amérique a terriblement changé après la guerre, ce n'est plus le même pays. "




Trumbo, du scénariste star au paria de la "liste noire"

Antoine Thirion "Cahiers du cinéma"

James Dalton Trumbo publie Johnny Got His Gun l'année où Hitler envahit la Pologne. A 34 ans, c'est l'un des scénaristes les mieux payés d'Hollywood. Né dans une famille pauvre du Colorado, il dut longtemps se résigner à mettre de côté sa vocation pour l'écriture, la mort de son père, en 1934, l'obligeant à travailler dans une boulangerie afin de subvenir aux besoins de sa mère et de ses soeurs.

Il parvint néanmoins à publier des nouvelles dans plusieurs revues prestigieuses, dont Vanity Fair et Vogue, jusqu'à la parution de son premier roman en 1934 (Eclipse). La même année, la Warner Bros l'engage comme lecteur, puis scénariste pour des séries B. Au moment de rejoindre la MGM en 1937, il a déjà travaillé dans tous les plus grands studios hollywoodiens : Columbia, Paramount, 20th Century Fox, RKO.

S'il n'adhère officiellement au Parti communiste américain qu'en 1943, il en était déjà bien avant un célèbre sympathisant. Le message de Johnny s'en va-t-en guerre correspond à l'époque à la ligne du parti, résolument pacifiste et critique envers Roosevelt et l'engagement militaire américain. Le parti accueille d'ailleurs le roman avec enthousiasme et l'érige en modèle de l'isolationnisme qu'il prône. Une diffusion radiophonique le popularise encore davantage, notamment grâce à James Cagney, qui prête sa voix au héros mutilé.

L'attitude du Parti communiste américain tenait en grande partie au pacte de non-agression passé par Hitler et Staline. Lorsque l'Allemagne envahit l'URSS, le parti change de position et soutient celle de Roosevelt. Trumbo ordonne alors à son éditeur de retirer son livre du marché populaire chez les pacifistes, les isolationnistes et les fascistes.

En 1944, il va jusqu'à montrer au FBI des lettres lui réclamant des copies du livre épuisé, se conformant à l'ordre du parti de dénoncer toute attitude antipatriotique.


1971.

Cela fait bientôt douze ans que le nom de Dalton Trumbo a ressurgi sur les écrans, à l'occasion d'Exodus (1959), en partie grâce à l'insistance du cinéaste Otto Preminger. La liste noire est enterrée ; les " dix de Hollywood " dont Trumbo faisait partie, et qui avaient été condamnés pour avoir refusé de répondre aux
questions de la commission des activités antiaméricaines (Trumbo fit dix mois de prison ferme), peuvent enfin officiellement reprendre le travail.

" Officiellement ", car Trumbo, comme d'autres, n'a pas cessé de travailler sous des noms d'emprunt. Exilé à Mexico puis en Europe, il a notamment écrit le scénario des magnifiques Gun Crazy de Joseph H. Lewis - sous le pseudonyme de Millard Kaufman, l'histoire d'une cavale amoureuse à laquelle Bonnie & Clyde empruntera beaucoup, Le Rôdeur de Joseph Losey, et Vacances romaines (Billy Wilder, 1953).

Ses alias ont même reçu à plusieurs occasions des Oscars, dont Robert Rich pour Les clameurs se sont tues (Irving Rapper, 1956), rendu à son auteur en 1975, de même qu'une statuette posthume en 1993 pour Vacances romaines.

Cinq ans avant de mourir d'une crise cardiaque consécutive à un cancer du poumon, Trumbo tourne l'adaptation de son fameux roman de 1939, lequel entre alors en résonance avec le désastre du Vietnam.

Johnny s'en va-t-en guerre demeure son seul film en tant que réalisateur - tâche qu'il n'a au fond jamais réellement souhaitée, convaincu au contraire que le véritable auteur d'un film est son scénariste.


Johnny Got His Gun - Johnny s'en va-t-en guerre (1971) Dalton Trumbo

Stanley Kubrick | 1928 - 1999

Stanley Kubrick

Auteur de treize longs métrages, travailleur exigeant et infatigable, l'Américain a laissé à sa mort, en 1999, une série de créations monumentales, chacune inscrite dans un genre différent, du magistral "2001 : l'Odyssée de l'espace" au labyrinthique "Shining", en passant par "Barry Lyndon".


BIO EXPRESS

1928.
Naissance le 26 juillet dans le Bronx, à New York, dans une famille juive originaire d'Europe centrale. Son père est médecin, pianiste et photographe amateur, sa mère est chanteuse et danseuse.

1945.
Il entre comme photographe au magazine Look.

1948.
Mariage avec Toba Metz, une ancienne camarade de classe, dont il divorcera en 1951.

1950-1951.
Premiers courts métrages : Prizefighter, sur la journée d'un boxeur, et Flying Padre, deux jours dans la vie d'un révérend catholique.

1953.
Premier long métrage : Fear and Desire.

1954.
Léopard d'or à Locarno pour Le Baiser du tueur. Il épouse Ruth Sobotka (divorce en 1957).

1957.
Les Sentiers de la gloire, scandale auprès des anciens combattants qui découragent les producteurs de présenter le film à la censure française. Il ne sortira en France qu'en 1972.

1958.
Il épouse l'actrice Christiane Susan Harlan. Ils auront deux enfants. A partir de 1975, Jan Harlan, le frère de Christiane Susan, deviendra le producteur exécutif des films de Kubrick.

1961.
Exil en Grande-Bretagne.

1962.
Lolita, adapté du roman de Nabokov. Scandale auprès des ligues puritaines.

1964.
Docteur Folamour.

1968.
2001 : l'Odyssée de l'espace.

1972.
Sortie d'Orange mécanique. Polémique en Grande-Bretagne. Kubrick reçoit des menaces de mort et fait retirer le film des écrans britanniques.

1975.
Barry Lyndon remporte quatre Oscars.

1980.
Shining.

1999.
Décès le 7 mars dans sa résidence de la banlieue de Londres. Il laisse plusieurs projets inachevés : un film sur Napoléon ; The Aryan Papers, sur le nazisme ; A.I., confié à Steven Spielberg. Sortie de Eyes Wide Shut.





Le perfectionniste

Isabelle Regnier, Article paru dans l'édition « Le Monde » 30 Septembre 2007

Stanley Kubrick. Portée par une insatiable exigence esthétique, technique, narrative, son oeuvre, qui ne compte que treize films, n'en est pas moins monumentale.

Cinéaste de la démesure, Stanley Kubrick est l'auteur d'une oeuvre aussi rare, par le nombre de films qu'elle compte - treize, seulement ! - que monumentale à l'échelle de chacun d'entre eux. Portée par une insatiable exigence esthétique, technique, narrative, cette oeuvre se présente comme une succession de créations magistrales, chacune inscrite dans un genre cinématographique différent. Parmi elles, plusieurs chefs-d'oeuvre se distinguent par la manière dont ils en ont cristallisé, de manière éblouissante, toutes les possibilités.

Ainsi, Docteur Folamour ou Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe, farce grinçante et délirante sur la bombe atomique dans laquelle Peter Sellers, en ancien nazi débauché par les Américains, porte son art du burlesque au pinacle.

Suivront : 2001 : l'Odyssée de l'espace, film de science-fiction indépassable sur le combat entre l'homme et la machine dans une mise en scène rigoureuse et des décors d'une magnificence vertigineuse ; Barry Lyndon, fresque picturale dont la puissance d'attraction n'a jamais totalement livré les clés de son mystère ; ou encore Eyes Wide Shut, abîme d'ambiguïté sur les affres du couple moderne, incarné par deux des plus grandes stars du cinéma international, Tom Cruise et Nicole Kidman. Auxquels s'ajoutent une liste de films majeurs : Les Sentiers de la gloire, Spartacus, Lolita, Orange mécanique, Shining ou Full Metal Jacket.

Stanley Kubrick a, un temps, rêvé de devenir batteur de jazz, avant de se passionner pour la photographie. Repéré à l'âge de 17 ans par le magazine Look pour un de ses clichés (un marchand de journaux accablé par la nouvelle de la mort de Franklin D. Roosevelt), il entame alors une carrière de photographe de presse. Après cinq ans passés dans ce métier, où il développe un sens aigu de la lumière et de la composition des cadres, il réalise deux courts métrages documentaires, qui seront distribués par la RKO. Ses premiers longs métrages ne se feront pas attendre.

Habités par la violence et la folie, ses films sont souvent l'objet de scandales ou de polémiques. Leur raison d'être était fréquemment liée à une avancée des techniques cinématographiques dans lesquelles Kubrick voyait un moyen de réinventer le cinéma. Ainsi, c'est l'utilisation de la steadycam qui donne à Shining sa forme labyrinthique. Tandis que l'esthétique si particulière de Barry Lyndon, inspirée de peintures anglaises du XVIIIe siècle, est liée à un objectif conçu pour la NASA qui rendait possible l'éclairage des scènes à la bougie...

Perfectionniste entêté, Stanley Kubrick voulait tout contrôler, de l'écriture jusqu'aux doublages en langue étrangère, de sa parole publique (quasi inexistante) à la circulation de ses films. Il fit ainsi disparaître les copies de ses deux premiers longs métrages, Fear and Desire et Le Baiser du tueur, après les avoir désavoués. Incompatible avec le système hollywoodien, son besoin de maîtrise totale le poussa à s'installer en Grande- Bretagne à partir de 1961, où il réalisa la partie la plus importante de son oeuvre.

On the Waterfront | Sur les Quais | Elia Kazan | 1954


Titre original : On the Waterfront | Sur les quais

Réalisation : Elia Kazan

Acteurs principaux : Marlon Brando (Terry Malloy), Karl Malden (Père Barry), Eva Marie Saint (Edie Doyle), Lee J. Cobb (Johnny Friendly), Rod Steiger (Charley 'Monsieur' Malloy), Pat Henning (Timothy J. 'Kayo' Dugan), Leif Erickson (Glover, de la Commission criminelle), James Westerfield (Big Mac, le patron du quai), John F. Hamilton ('Pop' Doyle (sous le nom John Hamilton))...

Scénario : Budd Schulberg

Costumes : Anna Hill Johnstone, Flo Transfield

Photographie : Boris Kaufman

Montage : Gene Milford

Musique : Leonard Bernstein

Production : Sam Spiegel

Société(s) de production : Columbia Pictures, Horizon Pictures

Société(s) de distribution Columbia Pictures

Pays d’origine : États-Unis

Durée : 108 minutes (1 h 48)

Sortie : 28 juillet 1954






Elia Kazan

Roi de Broadway et prince d'Hollywood, Elia Kazan est au sommet de la gloire quand, un jour de 1952, il devient un "témoin amical" de la Commission des activités antiaméricaines (HUAC) et donne les noms de dix anciens camarades du Parti communiste. Acte de délation qui fait basculer sa vie comme sa carrière. Hanté par la culpabilité, Kazan abandonne les films "à sujet", sa spécialité, et se lance dans une oeuvre intime et bouleversante qui marque de façon indélébile une génération de cinéastes surdoués, de Martin Scorsese à Francis Ford Coppola.

1909 Naissance d'Elia Kazanjioglou à Constantinople (Turquie) dans une famille grecque d'Anatolie.

1913 Arrivée à New Rochelle, dans l'Etat de New York.

1934-1936 Membre du Parti communiste. Fondation du Group Theater, qui deviendra l'Actors Studio.

1947-1948 Création à Broadway de Mort d'un commis voyageur, d'Arthur Miller, et d'Un tramway nommé Désir, de Tennessee Williams. Oscar du meilleur réalisateur pour Le Mur invisible.

1951 Un tramway nommé Désir, quatre Oscars d'interprétation.

1954 Sur les quais, huit Oscars.


1955 A l'est d'Eden.

1956 Baby Doll.

1960 Le Fleuve sauvage.

1961 La Fièvre dans le sang.

1963 America America.

1969 L'Arrangement.

1972 Les Visiteurs.

1976 Le Dernier Nabab.

2003 Mort à New York.



Sur les quais


LE TALENT D'ELIA KAZAN ATTEINT ICI SA PLÉNITUDE

C'est un vrai film. Un film qui redonne confiance. Un film qui prouve que le cinéma est un moyen d'expression irremplaçable, un art dont les qualités spécifiques n'appartiennent ni au roman, ni au théâtre. Seul le cinéma pouvait atteindre à ce mélange de souplesse et de rigueur dans la conduite du récit ; à cette alliance d'esthétisme et de réalisme dans l'évocation de la vie ; surtout à cet étrange pouvoir d'envoûtement qui finit par peser sur les spectateurs... Sur les quais est, en effet, un film qui envoûte. S'il existe une sorcellerie de l'écran, ne doutons pas qu'Elia Kazan en connaît les secrets. (...)

Des dockers sont soumis aux lois d'un gang de l'embauche contre lequel ils n'osent se révolter. Devant l'oppression ils restent "D and D", deaf and dumb, c'est-à-dire sourds et muets. Et quand l'un d'eux ose dire ce qu'il sait, le gang aussitôt le supprime... Au moment où commence le film, un ouvrier vient d'être assassiné. Parmi les hommes qui ont pris part au meurtre se trouve un ancien boxeur dévoyé, que la paresse et le vice ont transformé en une petite gouape sauvage, entièrement livrée à ses instincts. Mais, au fond de cet être perdu, la conscience n'est pas tout à fait morte. (...)

Le thème du film est donc celui de la lutte contre les forces du mal. Thème qui se dédouble en passant tour à tour du plan particulier au plan général, mais qui ne cesse de garder son unité interne : c'est en définitive parce que le héros se repent de ses fautes que les dockers sont délivrés de l'oppression du gang. La justice ne triomphe (...) qu'avec le secours de la morale la plus traditionnelle. Comme, d'autre part, ce revirement psychologique du personnage incarné par Brando est provoqué par l'amour d'une jeune fille vertueuse et pure, on en arrive à se demander si Sur les quais n'est pas autre chose qu'un bon drame romantique accommodé à la sauce moderne. (...) Tout cela enlève un peu de résonance à l'ouvrage. Et derrière le film existant on ne peut s'empêcher d'imaginer le film dont Kazan a sans doute rêvé et qu'il s'est interdit de faire.



Cette réserve sur le fond n'altère en rien notre admiration pour les qualités formelles de On the Waterfront. Le talent d'Elia Kazan atteint ici sa plénitude. Il nous plonge d'abord dans un univers étouffant et brutal ; puis à mesure que son héros découvre la pureté, la tendresse, ses images s'éclairent et se prolongent vers le ciel et la mer. Le drame personnel du jeune gangster est d'ailleurs évoqué avec une puissance et une pudeur admirables. Nous suivons avec émotion la pathétique aventure de cette âme enfouie dans la boue et renaissant soudain à la lumière. Kazan nous prouve en maître que le cinéma peut être un extraordinaire instrument de description psychologique. (...)

Et Marlon Brando est réellement un très grand comédien. Il faut avoir vu ce visage tuméfié, abruti par les coups et la misère, retrouvant le temps d'un sourire une sorte d'innocence enfantine. (...)

Jean de Baroncelli - Le Monde du 19 janvier 1955




KAZAN, EN RUPTURE

"SUR LES QUAIS" MARQUE UN TOURNANT DANS LA CARRIÈRE DU CINÉASTE

Dans une des premières pièces d'Arthur Miller, Ils étaient tous mes fils, créée à Broadway en 1947 dans une mise en scène d'Elia Kazan, on trouve cet échange entre Mr Keller, patron de sa propre entreprise, et son fils Chris, qui rechigne à prendre sa suite : Chris " J'ai été un bon fils trop longtemps, une bonne poire. C'est fini. " Keller : " Mais tu as une affaire ici, qu'est-ce que tu racontes ? " - " L'affaire ! L'affaire ne m'inspire pas ! " - " Il faut que ça t'inspire ? "

" Il faut que ça t'inspire ? " avait demandé, sarcastique, George Kazanjioglou à son fils Elia, qui voulait devenir acteur au lieu de se vouer corps et âme au commerce des tapis. " Il faut que ça t'inspire ? " interrogeait Isidore Miller, qui possédait, avant le désastre de 1929, une entreprise de confection de vêtements et se trouvait bien démuni face aux aspirations artistiques de son fils. Tout est dit de ce qui lie Elia Kazan et Arthur Miller : cette douleur du fils incompris, qui a osé tracer son chemin loin de " l'affaire " familiale, mais ne s'est jamais vraiment remis d'avoir déçu les attentes paternelles.



Après la création de Mort d'un commis voyageur, Miller et Kazan décident d'écrire ensemble pour le cinéma. Leur sujet ? La tragédie des dockers. On est en pleine chasse aux sorcières, et Kazan choisit de donner des noms. Miller refuse alors tout contact avec son " frère jumeau " et transforme leur projet commun en pièce. Vu du pont (1955) raconte comment un docker dénonce à l'immigration un Sicilien dont sa fille est amoureuse. Amour filial meurtri, vengeance assouvie par la dénonciation : on retrouve ces thèmes dans Sur les quais, que Kazan écrit avec un autre " donneur de noms ", le romancier Budd Schulberg.

LÂCHETÉ OU COURAGE
Miller dénonce la lâcheté de la délation ; Kazan la transforme en courageuse dénonciation. Son Terry Malloy (Marlon Brando), ancien boxeur devenu l'homme à tout faire du mafieux Friendly, décide d'aider la justice. " Je suis content de l'avoir fait ! ", hurle-t-il, et c'est Kazan qui crie avec lui. En confiant le rôle de Friendly - comme un père pour Terry l'orphelin - à Lee J. Cobb, l'interprète du commis voyageur, Kazan révèle la parenté secrète de son film avec le théâtre de Miller.



La tragédie de Terry, c'est d'avoir dû se soumettre trop longtemps à ses deux pères de substitution, Friendly et son frère Charley (Rod Steiger) qui l'a contraint à sacrifier sa carrière de boxeur. En fondant ses grands thèmes pour en faire le drame d'un seul homme, Elia Kazan signe un film magnifique, dur et lyrique.

En 1980, Martin Scorsese proposera une véritable relecture de Sur les quais avec Raging Bull, l'histoire en noir et blanc d'un boxeur épris d'une blonde, trop chic pour lui, et qui plonge dans la déchéance parce que son frère mafieux a truqué l'un de ses matches... Jake LaMotta (Robert De Niro) est un véritable double de Terry Malloy. Le film se clôt sur le monologue de Brando dans la magnifique scène du taxi : " J'aurais pu être quelqu'un de bien, j'aurais pu être un champion au lieu d'un bon à rien... "

Florence Colombani - Le Monde




Bande Annonce VOSTF : On the Waterfront | Sur les Quais (1954) Elia Kazan

The Maltese Falcon | Le Faucon Maltais | John Huston | 1941


Titre Original : The Maltese Falcon

Titre Français : Le Faucon Maltais

Année : 1941

Etats-Unis - Film Noir / Policier - 1h41


Réalisation : John Huston

Avec Humphrey Bogart (Sam Spade), Mary Astor (Brigid O'Shaughnessy), Gladys George (Iva Archer), Peter Lorre (Joel Cairo), Barton MacLane (Det. Lt. Dundy)...





L'invention du noir Par Jean-Luc Douin

Sales histoires. Qui commencent à San Francisco, en 1915. Pour 10 dollars par jour, Dashiell Hammett passe des heures embusqué sous des porches d'immeuble, à filer le train à des suspects. Costume cintré cravate, moustache dandy, ce grand type élégant cache une entaille au crâne sous son feutre impec. Il a des cicatrices aux jambes, il vote rouge, crache du sang. C'est un tubard alcoolo. Officiellement, il est détective privé, à l'agence Pinkerton. Viscéralement, agent trouble. Il hante la ville des vices et des corruptions, ses bars, ses docks, ses champs de courses et ses combats de boxe. Hammett n'est pas homme à protéger la propriété privée, ni à se rendre complice des injustices sociales. Lassitude, écoeurement, démission.

Hammett renaît au début des années 1920. Comme écrivain. Des personnages douteux qu'il a fréquentés, de ces affaires sordides qu'il considère comme de la "pisse d'âne", il fait des nouvelles publiées par le mensuel Black Mask. Engagé comme rédacteur publicitaire à mi-temps chez un bijoutier, il a d'abord adressé ses premiers textes au magazine Smart Set (l'ancêtre du New Yorker), puis découvert que, comme après lui William Burnett, Don Tracy, James Cain ou Horace Mc Coy, venus du journalisme sportif ou criminel, il est l'auteur rêvé des pulp magazines, ces revues vendant de ténébreuses sensations imprimées sur du mauvais papier. Black Mask (dont le nom attise la mythologie du loup noir porté par les héros de la littérature populaire) a été lancé pour renflouer les caisses de Smart Set. Il va peu à peu évoluer vers la littérature hard-boiled, le récit "dur à cuire".

Hommes mélancoliques dans troquets sombres, rousses flamboyantes en négligés affolants, guet-apens dans les impasses, pin-up toisant le fouille-merde en fumant une cigarette ou en le menaçant d'une arme, ombre inquiétante sur un mur, voiture dérapant dans la nuit ou fantôme de blonde errant sous la pluie : c'est là, dans les pulps, les paperbacks à quatre sous, qu'est né un genre qui, depuis, a prospéré en célébrant le crépitant mariage de la mitraillette et de la machine à écrire, puis les noces noires des anges aux figures sales avec le cinéma.

Pas de panique ! Le terme de detective story a été inventé par Edgar Allan Poe, créateur du premier détective amateur (Auguste Dupin). Le Sherlock Holmes d'Arthur Conan Doyle est bien le premier détective privé (créé en 1887), avant que ne naissent un détective-cambrioleur (l'Arsène Lupin de Maurice Leblanc, en 1905), un détective-reporter (le Rouletabille de Gaston Leroux, en 1907), un prêtre-détective (le Père Brown de Chesterton, en 1910). Mais si l'on parle aujourd'hui de film noir, si Quentin Tarantino a fait d'Uma Thurman une sulfureuse séductrice dans Pulp Fiction, c'est à la gloire des hard-boiled aux couvertures tapageuses qu'on le doit (couvertures qui influenceront les affiches des films ténébreux), et à la façon dont Dashiell Hammett transcenda ces histoires où le privé se préoccupe moins de prouver son ingéniosité à manipuler passe-partout et pinces-monseigneur qu'à fumer des tonnes de cigarettes et à vider des bouteilles de whisky dans des chambres d'hôtels miteux.

"Dashiell Hammett, c'est l'ange tutélaire, dit Jean-Bernard Pouy, inventeur en 1995 du Poulpe, un personnage qu'ont fait vivre plusieurs auteurs. C'est d'abord l'homme qui fascine. Plus que les autres, il ressemble à l'idéal des écrivains de l'école du néo-polar français : un type pour lequel l'écriture est importante, mais pas nécessaire. Qui est capable de disparaître pour boire, vivre, aimer, militer. On nous a accusés d'être issus de Mai 68. Erreur ! Tout vient de lui, acteur de son temps !"

"Hammett, le jazz : on a baigné là-dedans. C'est l'emblème du thriller à motivations politiques", dit Alain Corneau, auteur du film Série noire (1979). Tandis que le réalisateur Francis Girod souligne son écriture "qui respirait le cinéma à chaque phrase". Et que l'écrivain Michel Le Bris, le créateur du Festival de Saint-Malo, honore "la sensation d'une inépuisable énergie, d'une écriture vouée aux marges, aux ruelles sordides, aux arrière-cuisines, enfin libérée des ronds-de-jambe et des préciosités salonnardes".

"J'ai la peau dure sur ce qui me reste d'âme et, après vingt années passées dans le monde du crime, je peux regarder n'importe quel meurtre sans y voir autre chose que du beurre dans les épinards, mon boulot quotidien" : telle est la cynique profession de foi de Continental Op, le détective dont Hammett va faire le héros de vingt-six nouvelles et de deux romans, avant d'imaginer Sam Spade, le narrateur du Faucon de Malte (Gallimard). Raymond Chandler trouvera une formule immortelle pour honorer la révolution lancée par Hammett : "Il a sorti le crime de son vase vénitien et l'a flanqué dans le ruisseau. (...) L'idée ne semblait pas si mauvaise de l'éloigner des conceptions petites-bourgeoises sur le grignotage des ailes de poulet par les jeunes filles du grand monde."

Dashiell Hammett n'a cure des haut-le-coeur de la National Organization of Decent Literature, qui demande parfois à la Brigade des moeurs de saisir certains Pocket Books trop éloignés des énigmes pudding d'Agatha Christie. Il est de ceux qui glissent des dragées au poivre dans les thrillers trop rhétoriques et jettent du piment sur "la langue de bois des politiciens, des prédicateurs, des hommes de loi". Ouvertement lancés comme des pavés contre l'Amérique capitaliste, les textes d'Hammett allient critique sociale, violence documentaire, lyrisme brutal. Il ne s'agit plus, chez lui, de mettre en valeur les subtiles déductions d'un invulnérable enquêteur, mais de plonger un incorruptible désabusé dans une atmosphère glauque, de le faire réagir avec ses nerfs et ses tripes, de lui faire plonger les mains dans l'ordure, de le faire se faufiler chez les crapules. Il n'y a plus de crimes parfaits, il n'y a que des meurtres odieux. Il n'y a plus d'énigme prétexte à divertissement cérébral, mais la sensation suffocante de s'immiscer dans l'empire du Mal. Le tout dans un style efficace, qui "claque comme un coup de fouet", un langage cru, un découpage de séquences rapide et frénétique.

C'est ainsi que, jusqu'en 1952 - date à laquelle la croisade anti-communiste allait s'acharner contre lui -, Hammett fut constamment réédité et que son influence grandit. C'est ainsi que les studios hollywoodiens achetèrent les droits d'adaptation des pulps, et engagèrent certains de leurs auteurs comme scénaristes. C'est ainsi que, transposé au cinéma par John Huston en 1941, Le Faucon maltais donne au film noir un radical coup de punch. Le cinéaste impose des lieux (local du privé, appartement de la vamp, ruelles abandonnées), des objets (téléphone, chapeau feutre, cigarettes), des personnages (femme fatale aux yeux cobalt, Levantin parfumé, chérubin meurtrier, gangster épicurien aux râles asthmatiques), et un climat morbide où rôdent peurs et désirs.

Le héros est un homme sans état civil ni morale, qui manie l'humour à froid et l'ironie nonchalante. Il a un langage et une conduite à heurter les douairières, un flegme misogyne à l'égard de ses maîtresses. Hammett en savait long sur les tueurs à gages et les maniaques sexuels, les politiciens corrompus et les dames nymphomanes, les avocats véreux et les tenanciers de boîtes louches. De l'assassinat qui donne le coup d'envoi de ses mystères, il ne donne à voir qu'un coup de revolver dans le brouillard. Après, "les dialogues parlent à la place des armes, écrit Roger Tailleur dans Positif (N° 75, mai 1966), les personnages se mitraillent de mots", lesquels s'appliquent à "compliquer les malentendus, à entortiller l'adversaire".

Tandis que le film noir se propage un peu partout, en Italie (Ossessione de Luchino Visconti, 1942), Angleterre (Le Troisième Homme de Carol Reed, 1947), Japon (Chien enragé d'Akira Kurosawa, 1949), France (Bob le Flambeur de Jean-Pierre Melville, 1955), Egypte (Gare centrale de Youssef Chahine, 1958), et qu'il vampirise tous les genres hollywoodiens, contaminés par les thèmes de la loi et du désordre, de la corruption, du destin fatal, dans des esthétiques brumeuses, vouées aux fantasmes morbides et au cauchemar, est créée en France en 1945 par Marcel Duhamel, chez Gallimard, la "Série noire", appellation trouvée par Prévert.
Bientôt accompagnée, chez les concurrents, par d'autres collections ("Le Bandeau noir", "La Veuve noire", "Fleuve noir"...), cette collection fascine les amateurs de filles fatales en bas Nylon et de dérives en Chevrolet décapotables, en même temps qu'elle encourage les intellectuels français à publier sous pseudonymes américains. Louis Chavance devient Irving Ford, Louis Daquin signe Lewis McDacking, Léo Malet se nomme Frank Harding ou Léo Latimer, Maurice Nadeau se cache derrière Joe Christmas et Boris Vian invente Vernon Sullivan.
Plongé dans La Recherche du temps perdu, Dashiell Hammett écrit à sa compagne Lilian Hellman : "Si Proust ne se décide pas bientôt à en finir avec Albertine, j'ai bien peur qu'il ne perde un client !" .

Jean-Luc Douin. « Le Monde »


QUELQUES OUVRAGES HISTORIQUES
Panorama du film noir américain 1941-1953, de Raymond Borde et Etienne Chaumeton (Flammarion, 1988) ;
Hard Boiled USA, Histoire du roman noir américain, de Geoffrey O'Brien (éd. Encrage, 1989) ;
Le Film noir, de Patrick Brion (Nathan Image, 1991) ;
Le Film noir américain, de François Guérif (Denoël, 1999),
Le Polar, sous la direction de Jacques Baudou et Jean-Jacques Schléret (Larousse, "Totem", 2001) ;
Le Film noir, vrais et faux cauchemars, de Noël Simsolo (éd. Cahiers du cinéma, 2005).
Dashiell Hammett : une vie, de Diane Johnson (Gallimard, "Folio", 1992). Les livres de Dashiell Hammet sont publiés en français par Gallimard.

QUELQUES PERSONNAGES CONTEMPORAINS
Deux dures à cuire, Kinsey Milhone, créée par Sue Grafton (Seuil) et V. I. Warshawski, par Sarah Paretsky (Seuil).
Mais aussi Spenser, romantique et gastronome, dû à Robert B. Parker (Gallimard).
Matt Scudder, ex-flic, ex-alcoolo, de Lawrence Block.
Ou encore le premier dur "homo", Dave Brandstetter, de Joseph Hansen (Rivages).
Et un Cubain : Mario Conde, dénicheur de livres rares, de Leonardo Padura (éd. Métailié).

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Extrait VO : The Maltese Falcon (1941) John Huston

Rumble Fish | Rusty James | Francis Ford Coppola | 1983


Titre Original : Rumble Fish

Titre Français : Rusty James

Année : 1983

Pays : Etats-unis

Type : Drame / Action

Durée : 1h34

Réalisation : Francis Ford Coppola

Avec : Matt Dillon (Rusty James), Mickey Rourke (Motorcycle Boy), Diane Lane (Patty), Dennis Hopper (le père), Diana Scarwid (Cassandra)...


Francis Ford Coppola
Le réalisateur aux deux Palmes d'or, pour " Conversation secrète " et " Apocalypse Now ", n'a pas aujourd'hui la place qu'il mérite à Hollywood.

Si le plus célèbre des cinéastes italo-américains s'appelle Ford, c'est qu'il est né à Detroit, la capitale de l'industrie automobile. Son père, Carmine, est chef d'orchestre, et sa famille l'accompagne dans ses déplacements incessants. En 1949, Francis, 10 ans, est victime d'une épidémie de polio. Paralysé, il doit garder la chambre près d'un an et s'occupe avec des marionnettes. Adolescent, le jeune Coppola remplace les marionnettes par des êtres humains : il tourne des films en 8 mm auxquels il ajoute une bande-son enregistrée au magnétophone.

Etudiant, il est repéré par Roger Corman, producteur de séries B et grand découvreur de talents. Corman finance son premier long-métrage, Dementia 13, un film noir où l'on note un goût certain pour la tragédie familiale. Coppola travaille aussi comme scénariste, une activité qui lui vaudra son premier Oscar. Il tourne pour Warner Big Boy (1967), un émouvant récit d'apprentissage, puis se retrouve prisonnier du système des studios, aux commandes de La Vallée du bonheur (1968), une comédie musicale avec Fred Astaire. Son film suivant, Les Gens de la pluie, portrait d'une épouse insatisfaite qui plaque tout, est un road-movie saisissant.

Coppola fonde alors American Zoetrope, une société de production destinée à aider Lucas ou Scorsese : toute cette génération de cinéastes qui veulent échapper au carcan hollywoodien.
A partir de cette période, Coppola enchaîne les chefs-d'oeuvre : Conversation secrète, qui baigne dans le climat de paranoïa du Watergate ; Le Parrain, son adaptation magistrale du roman de Mario Puzo, et puis le magnifique Parrain II, qui raconte un demi-siècle d'histoire américaine. Le réalisateur se lance ensuite dans une aventure éreintante et folle : Apocalypse Now. Drogué, rongé d'angoisse, il plonge " au coeur des ténèbres ", comme le héros du court roman de Joseph Conrad qu'il transpose pendant la guerre du Vietnam. Le film est extraordinaire, mais Coppola en sort défait : les producteurs lui tournent le dos.

Il tâte ensuite de tous les genres - la chronique adolescente (Outsiders, Rusty James), la fresque d'époque (Cotton Club, 1984), la comédie (Peggy Sue s'est mariée, 1986) - et revient même à la guerre du Vietnam (Jardins de pierre, 1987). Pendant ce dernier tournage, Coppola perd son fils aîné, Gio, un drame qui hante notamment Le Parrain III.

Ni le dernier volet de la trilogie mythique ni Dracula (1992) ne séduisent assez le public pour que Coppola retrouve la place qui devrait être la sienne à Hollywood. American Zoetrope existe toujours, mais son patron est obligé d'enchaîner les commandes (Jack, avec Robin Williams, 1996 ; L'Idéaliste, avec Matt Damon) et préfère un temps au cinéma la production de vin. On attend pour novembre son adaptation de Mircea Eliade, L'Homme sans âge, et il prépare actuellement en Argentine une épopée italo-américaine, Tetro.

Florence Colombani




Gangster en quête d'idéal

Rusty James
survient à un moment critique de la carrière de Francis Ford Coppola. Alors que les années 1970 ont été celles du triomphe - plusieurs Oscars, deux Palmes d'or, et ce phénomène de société qu'est Le Parrain (1972) -, les années 1980 seront celles des difficultés et des déceptions. Le coût exorbitant d'Apocalypse Now (1979) et l'échec de Coup de coeur (1982) condamnent Coppola au petit budget.

Il choisit d'adapter coup sur coup deux ouvrages de Susan E. Hinton, une romancière populaire notamment chez les adolescents. Outsiders et Rusty James sont tous deux tournés dans l'Oklahoma, avec les jeunes Matt Dillon et Diane Lane. Le premier est un mélo en couleurs très accessible, comme une démonstration de savoir-faire à l'intention des studios ; le second, en noir et blanc et dans un style audacieux qui emprunte à l'expressionnisme allemand, est un " film d'art et d'essai pour ados ", selon une formule du cinéaste.

Le Rusty James du titre (Matt Dillon) a seize ans et vit en marge de la société, entre un père alcoolique (Dennis Hopper) et sa petite bande d'amis délinquants. Il vit dans le culte de son frère, le " garçon à la moto " (Mickey Rourke), qui revient juste à temps d'un périple en Californie pour venir en aide à Rusty et tenter de nouer avec lui un semblant de relation. Les deux personnages s'inscrivent dans une généalogie cinéphile : Rusty ressemble furieusement au James Dean de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), tandis que le garçon à la moto préfère à la société des hommes l'errance perpétuelle, comme Marlon Brando dans L'Equipée sauvage (Laszlo Benedek, 1953).

Coppola revisite ce territoire familier du cinéma américain à sa manière : avec une inventivité constante. Le film est tourné en noir et blanc mais s'autorise quelques taches de couleur pour filmer des poissons que le frère de Rusty aimerait libérer de leur bocal : ils sont bleu et rouge, comme le drapeau américain. Les décors sont noyés de brouillards et des ombres ont été peintes sur les murs par Dean Tavoularis, collaborateur essentiel de Coppola, comme à l'époque du Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920). Le cinéaste s'en donne à coeur joie dans l'expérimentation formelle mais Rusty James n'est pas un simple exercice de style. Par son motif central - la relation entre les frères et leur père -, le film coïncide avec l'obsession majeure de Coppola : le microcosme familial, dont le gang est ici un substitut.

Florence Colombani - Le Monde




Bande Annonce VO : Rumble Fish | Rusty James (1983) Francis Ford Coppola


John Cassavetes | Réalisateur | 1929-1989



C'est vers le milieu des années 50 qu'on a commencé à entendre parler d'un comédien nommé John Cassavetes. Issu de l'American Academy of Dramatic Arts de New York et marqué par la Méthode de Lee Strasberg, L'homme, Grec par ses parents mais Américain à part entière, se fait tout de suite remarquer dans un film de Martin Ritt, Edge of the City (L'Homme qui tua la peur). Déserteur et humaniste, farouchement indépendant, Cassavetes est déjà tout à fait lui même, mais on ne le sait pas encore. Acteur de théâtre, de télévision et de cinéma, charmeur et séduisant comme pas un, le futur Johnny Staccato est tout désigné pour devenir un nouveau James Dean ou Marlon Brando, à moins qu'il ne soit un successeur de Humphrey Bogart, avec qui il partage la petite taille et l'intelligence aiguë.

C'est alors que survient un étrange événement qui dérange les plans qu'on avait tracés pour la future star. Un beau soir de 1957, John Cassavetes n'écoutant que ses impulsions, qui deviendront plus tard légendaires, décide de faire un film. C'est lui qui le réalisera mais il n'y jouera pas. Et mieux que cela, il décide de financer le film par souscription publique. Cela ne sera finalement pas vraiment le cas, mais avec l'aide de Maurice Mac Endree et de Nico Papatakis, exilé à New York pour cause de guerre d'Algérie, il va terminer Shadows.

Comme Rouch, Godard, Truffaut, Rivette en France, ou Oshima au Japon, Cassavetes fait entrer un souffle d'air et de vie dans le cinéma. Shadows comme A bout de souffle ou plus tard L'Amour fou de Rivette, use des méthodes du cinéma direct pour les mettre au service de la fiction. Pourtant, les uns et les autres ne se connaissent pas et ignorent le travail que chacun mène de son côté.

Shadows (1959)


Mais l'époque est aux Nouvelles Vagues et ce moment du cinéma reste unique. Shadows définit, mieux que tout autre film, les axes de la méthode de Cassavetes : complicité de la production et de la mise en scène, refus d'une soumission à la technique, relation privilégiée à l'acteur, mélange détonant d'improvisation et d'écriture, montage conçu comme un work in progress. En somme, un cinéma fondé sur l'intuition et la liberté contrôlée. Un cinéma où triomphe l'élément humain.

Tourner avec Cassavetes, pour les techniciens comme pour les acteurs, exige une disponibilité de tous les instants. L'imagination est préférable au professionnalisme sec. L'ambiance est plus importante que le scénario et les acteurs sont les princes du film, véritables pierres de touche de la mise en scène. De tout cela, Shadows est complètement imprégné et présente d'emblée la quintessence du cinéma de Cassavetes.

Il faut encore insister sur un point essentiel quant à ce premier film, c'est son sujet doublement risqué pour l'époque. D'abord, il s'agit d'amours interraciales entre un blanc et une jeune fille noire, mais vues du point de vue de la communauté black. Audace d'une histoire qui ne simplifie jamais les multiples ambiguïtés ou tensions entre les races, et qui reste néanmoins profondément attachée à un idéal de métissage.

Ensuite, les rapports frères-sœurs sont traités avec une subtilité, une délicatesse rares et contiennent implicitement une dimension sinon incestueuse, du moins proche de l'amour. Pente de l'inceste frôlé que Cassavetes empruntera à nouveau, vingt cinq ans plus tard pour son avant-dernier film Love Streams.

Mais, dans Shadows comme dans Love Streams, c'est moins l'attraction sexuelle qui hante Cassavetes que l'affinité secrète, indéfinissable qui lie un frère et une sœur. Préoccupation qui le rapproche, pour le compte du cinéma, des grands romans qui expérimentent la relation frère-sœur tels que Pierre ou les ambiguïtés de Herman Melville ou L'Homme sans qualités de Robert Musil.

En tout cas, Shadows, que nous n'avions pas vu en France depuis trente ans, a gardé toute sa fraîcheur comme si le New York de 1958 capté en direct, était resté éternellement présent. Dernier élément constitutif de Shadows : la musique. Pourquoi ? Tout simplement, parce que l'auteur et l'interprète est Charles Mingus qui improvise en compagnie de Shafi Hadi, son saxophoniste de l'époque, tout au long des images Mingus fait tellement corps avec Shadows qu'on finit par ne plus savoir si c'est la musique qui accompagne les plans ou l'inverse. Dans un cas comme dans l'autre, le phrasé, la sonorité, la pulsation, le rythme de Cassavetes comme de Mingus font merveille. Là encore, parenté avec le jazz qu'il reprendra dès son film suivant, Too Late Blues, sans parler de série télé Johnny Staccato où il interprète le rôle-titre. Que Cassavetes soit un cinéaste indépendant ne l'empêche pas d'être remarqué par Hollywood.

Suivront deux films, plus mineurs : Too Late Blues et A Child is Waiting. L'expérience du second film sera néanmoins traumatisante pour Cassavetes. Dépossédé du montage par Stanley Kramer son producteur, il quitte les studios pour retrouver sa liberté.

Faces (1968)

Après un temps de légère dépression, Cassavetes, dont l'énergie est aussi étonnante que celle d'un Bergman ou d'un Renoir, entreprend Faces, sans doute son chef-d'œuvre. Sur tous les plans, ce film est torrentiel et inoubliable.

Faces n'a jamais été distribué en France. Sa sortie est donc un événement à plus d'un titre. Imaginez que Pierrot le fou soit resté inédit jusqu'à ce jour et vous comprendrez le choc que constitue la découverte de Faces. Pourtant, ce film, montré et primé à Venise en 1968, n'a rien de spectaculaire en apparence. Il n'est après tout question que de petits bourgeois en goguette, femmes et hommes se trompant mutuellement. D'où vient alors sa puissance, son caractère à la fois terrible et vital ? A coup sûr, de cette caméra gestuelle, de cette ivresse, à coup sûr, de cette caméra gestuelle, qui envahit littéralement le film, de ce flux de parole impossible à endigue. Il y a bien de l'hystérie dans Faces, mais elle est toujours humaine trop humaine et surtout filmé sans voyeurisme. Nous, spectateurs, sommes impliqués dans l'expérience et projetés dans l'œil du cyclone.

Faces est encore important car il est le premier film de Cassavetes où l'idée de troupe joue un rôle prédominant. On y voit à l'œuvre deux acteurs fétiches de la tribu, Seymour Cassel et Gena Rowlands. Certes, le premier avait fait son apparition en batteur de jazz dans Too Late Blues tandis que la seconde participait à A Child is Waiting, en second rôle derrière les stars, Judy Garland et Burt Lancaster. Mais cette fois, ils sont, l'un et l'autre, enfin libres de leurs mouvements, capables de raccourcis, d'instantanés, d'impulsions invisibles dans les films hollywoodiens traditionnels. J'ajouterai une mention spéciale à Lynn Carlin, une des actrices principales, qui, pour les besoins du film, passa de l'état de secrétaire à celui de comédienne. Quant à John Marley, le dernier membre du quatuor de base, on le retrouvera un peu plus tard dans Le Parrain, une tête de cheval ensanglanté au beau milieu de son lit.

Faces donna à Cassavetes une forme de reconnaissance et une nouvelle autonomie. Avec ce film, fait entre amis et à la force du poignet, sans argent ou presque, avec des méthodes de production sans rapport aucun avec l'industrie, commence la période la plus faste de Cassavetes. Il enchaîne Husbands (1970) qui contribua il y a quelques années à le faire revenir sur le devant de la scène française.

Une Femme sous influence (A Woman Under the Influence, 1974)

En 1973, il tourne Une Femme sous influence avec Gena Rowlands à nouveau et Peter Falk qu'il avait déjà rencontré pour Husbands. Comme Faces, Une Femme sous influence est un grand film sur l'Amérique moyenne et son quotidien. On y voit des personnages invisibles dans l'ensemble du cinéma américain. Mais, cette fois-ci c'est la folie ordinaire qui domine.

Faces mettait en scène les frustrations d'un homme et d'une femme qui se déchiraient. Une Femme sous influence montre au contraire comment un couple se reconstitue. Rarement, un film aura été à la fois aussi documentaire et aussi pudique. D'ailleurs, le film ne se limite pas au couple, il fait entrer l'excès au cœur de la famille. Il mobilise les relations et tous les affects familiaux qui oscillent sans cesse de l'amour à l'aliénation. Cette fois, c'est le plan-séquence qui domine et permet à Cassavetes de capter admirablement les scènes de groupe. Trois exemples inoubliables: la grande scène des spaghettis où Mabel (Gena Rowlands) se trouve face à une vingtaine d'ouvriers; la séquence qui précède l'internement où la belle-mère, le mari, le docteur, les enfants en viennent à former des grappes humaines littéralement inextricables; le retour de Mabel à la maison. Trois moments d'anthologie qui n'ont pourtant rien de morceaux de bravoure. Sur la folie, Cassavetes n'a jamais le moindre regard moralisateur. Il se contente d'enregistrer des comportements et nous laisse libre de juger ou plutôt de regarder. Le secret de Cassavetes c'est de laisser la vie s'exprimer jusque dans ses excès et ses débordements. Une Femme sous influence dégage des trésors d'amour et c'est le plus important !

Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie, 1976)

Le film suivant, Meurtre d'un bookmaker chinois (1976, d'abord sorti en France sous le titre Le Bal des vauriens) appartient à un genre codifié à l'extrême, le film noir. On pourra s'en étonner, de la part d'un cinéaste qui semble bouder les règles du jeu en vigueur à Hollywood.

C'est oublier que déjà Minnie et Moskowitz avait toutes les allures d'une comédie loufoque à la Capra. Cassavetes joue le jeu du film de genre mais avec ses propres armes. Loin de refaire Le Grand sommeil ou Asphalt Jungle, il impose son rythme. Meurtre d'un bookmaker chinois est un polar crépusculaire, où Cassavetes se plaît à filmer un Los Angeles presque désert dans lequel rôdent des tueurs déglingués.

Il faut bien sûr dire un mot du personnage principal, Cosmo Vitelli, interprété par un Ben Gazzara en grande forme, qui fait son retour dans le clan Cassavetes six ans après Husbands. Cosmo Vitelli est propriétaire d'une boîte de strip-tease mais il est aussi le dépositaire d'une morale du spectacle que le Jean Renoir de French Cancan ou le Vincente Minnelli de Tous en scène n'auraient pas reniée et qui pourrait se résumer en une phrase : "The show must go on". Mais Cosmo Vitelli est aussi le prototype du self-made-man essayant désespérément de préserver l'indépendance financière de sa petite entreprise sans y parvenir. C'est donc un autoportrait du cinéaste en artisan, guidé par son désir d'autonomie mais guetté par les puissances d'argent. Cosmo signe une reconnaissance de dette envers les mafiosi et cette signature est comme la preuve irréfutable de son aliénation.

Opening Night (1977)

Avant de retourner à Hollywood reparler justement de la Mafia pour Gloria, Cassavetes aura le temps de réaliser un de ses films les plus ambitieux, Opening Night, qu'on peut considérer comme son art poétique. La sortie tardive de ce film est un événement car c'est tout simplement l'une des œuvres les plus importantes de son auteur. D'abord parce qu'il témoigne d'une activité parallèle du cinéaste, le théâtre, très importante au début et à la fin de sa carrière.

Certes, Opening Night n'est pas vraiment un documentaire sur le travail théâtral de Cassavetes, mais il permet en tout cas de se rendre compte de l'importance qu'il lui réserve en liaison étroite avec le cinéma. Opening Night est l'histoire de Myrtle Gordon (Gena Rowlands), le récit d'une période cruciale de la vie d'une comédienne de théâtre en pleine crise d'identité, en pleine confusion entre la vie et la scène. C'est aussi l'histoire d'une troupe, avec son metteur en scène (Ben Gazzara), ses acteurs (dont John Cassavetes), son auteur, son directeur de théâtre, ses machinistes, son habilleuse... C'est encore l'histoire d'une pièce, The Second Woman, de ses répétitions et de ses métamorphoses. Car bien sûr, chez Cassavetes, le texte n'est jamais sacré et la vie s'infiltre par tous les côtés de la scène pour venir modifier subtilement ou sauvagement le théâtre.

Opening Night, c'est enfin le second volet d'une trilogie sur l'hystérie qui commence avec Une Femme sous influence et qui s'achève avec Love Streams et dans laquelle la présence de Gena Rowlands est exceptionnelle. Ici, la comédienne est extraordinaire, jouant les troubles de comportements, les variations d'humeur, les troubles affectifs et alcooliques, les hallucinations, la dépense nerveuse, avec une très grande présence physique, exceptionnelle, payant littéralement de sa personne pour faire rendre gorge à la vérité du personnage. Ceci donne le plus dense et le plus européen des films de Cassavetes, une tragi-comédie indescriptible où le souffle de la dérive emporte tout sur son passage.

Ces cinq films - Shadows, Faces, Une Femme sous influence, Meurtre d'un bookmaker chinois, Opening Night - montrés ensemble constituent la part la plus vive de l'œuvre de Cassavetes. Ils sont simples et directs comme des moments de notre vie saisis par une caméra traqueuse et chaleureuse à la fois. Leur découverte ou redécouverte, permettra enfin de donner à John Cassavetes sa véritable place, une des toutes premières dans le cinéma moderne.

Thierry Jousse


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"Pendant longtemps, Cassavetes sera surtout connu comme acteur (Les douze salopards, A bout portant, Rosemary's Baby...), mais c'est évidemment comme auteur de films qu'il apparaît ici, à l'aube de sa carrière, avant même qu'il soit devenu la coqueluche des cinéphiles. Retour dans les années 60...

En 1965, nous sommes chez lui, à Hollywood. Il est entouré de ses collaborateurs. Son garage a été transformé en salle de montage. Ses monteurs sont des élèves de l'UCLA..."


John Cassavetes 1929-1989

Filmographie en tant que Réalisateur :

- Big Trouble (1986)

- Love Streams (1984)

- Gloria (1980)

- Opening Night (1977)

- The Killing of a Chinese Bookie (1976)

- A Woman Under the Influence (1974)

- Minnie and Moskowitz (1971)

- Husbands (1970)

- Faces (1968)

- A Child Is Waiting (1963)

- A Pair of Boots (1962)

- My Daddy Can Lick Your Daddy (1962)

- Too Late Blues (1961)

- Shadows (1959)